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Le Droit à l’endroit

Hybris est l’enfant de l’Impiété et de la Nuit. Elle personnifie la démesure, cette tentation d’aller toujours plus loin, sans mesure ni retenue.

Dans une fable d’Ésope, Polémos – la Guerre – choisit Hybris comme épouse. Depuis, ils sont inséparables. Et Babrius, qui reprend ce récit, nous met en garde :

« Que l’Hybris ne vienne jamais parmi les nations ou les villes des hommes, car après elle, la Guerre sera toujours à portée de main. »

Parce que les grecs nous révèlent plus de l’inclination des hommes que de la transcendance de Dieu, cette leçon antique résonne avec les excès de notre temps.

L’hybris est souvent considérée comme l’hamartia, c’est à dire l’erreur, la folie des personnages tragiques grecs et la cause de la némésis qui s’abat sur eux.

C’est l’idée que reprendra Albert Camus, dans l’Homme révolté: « Les Anciens, s’ils croyaient au destin, croyaient d’abord à la nature, à laquelle ils participaient. Se révolter contre la nature revient à se révolter contre soi-même. […]

La révolte s’y distingue des révolutions, en ce qu’elles perdent de vue la réaction de départ, positive, légitime et saine face à l’injustice, pour tomber dans le nihilisme jusqu’à aboutir à la négation du réel, de la dignité de l’Homme au profit de l’Idéologie qui justifiera tous les excès.

Besoin de visibilité

Quand tout est interdépendant et que l’on n’arrive plus à démêler le vrai du faux, le pire est de ne pas voir les conséquences des choix qui sont faits. C’est pourquoi, afin de décider de manière éclairée et agir avec justesse, il faut de la visibilité.

La première marche vers la visibilité est de partir des principes, et de s’appuyer sur des règles certaines qui permettent d’avancer, même dans le brouillard. Car si l’on raisonne, même bien, sur des bases fausses, on se dirige irrémédiablement droit dans le mur.

Ainsi, lorsque une politique de sécurité et de défense commune (PESC) remet en cause les principes de droit international pour prétendre s’y substituer, lorsque la logique idéologique remet en cause les engagements solennels des Traités, le risque n’est pas seulement théorique.

Il fragilise la confiance des investisseurs, expose nos entreprises à des risques identifiés et imminents et affaiblit la crédibilité de notre pays, et de l’Europe en tant qu’espace commercial, où chacun devrait se voir et pouvoir faire reconnaitre son dû.

Et lorsque la règle de droit n’est plus certaine, c’est la Justice entière qui vacille.

Le secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie Française (.https://www.academie-francaise.fr/reception-de-lacademie-bresilienne-des-lettres-lacademie-francaise-0), Maurice Druon, ne déclarait-il pas :

« Car si la langue importe à toutes les activités, le droit en règle l’exercice. Ce sont les deux fondements de la civilisation, et l’un va avec l’autre ».

Résolution de problèmes

Pour résoudre un problème complexe – c’est à dire un ensemble de questions à tiroirs multiples, dont il émergera des sous-questions appelant une série de premières réponses qui vont interagir les unes sur les autres – il convient de clarifier préalablement les données de la question, les concepts qui les sous-tendent, et de les distinguer selon le contexte. Il en bref, pour résoudre un problème complexe… il faut une méthode.

C’est l’essence de la résolution des problèmes, et des modes de résolution, divers, qui ont fait leurs preuves: sur les problèmes posés par la géométrie, les mathématiques, la physique, en passant par la philosophie jusqu’aux litiges inter-personnels, inter-entreprises et inter-étatiques.

La méthode pose qu’une fois un point acquis, l’on n’y revienne pas, afin de pouvoir passer au point suivant, et ainsi de suite, de telle sorte que tous les sujets en question soient ramenés à un seul point de convergence, pour que la démonstration d’une thèse devienne irréfutable.

Concernant l’épineuse problématique des mesures coercitives européennes, nous avions déjà répondu à la question essentielle du point de savoir dans quelle mesure les « sanctions » atteignaient le but affiché de restaurer la Paix (voir une de nos éditions précédentes): la réponse étant négative, dans les rapports officiels comme sur le terrain, passons à un autre point.

En quoi les mesures restrictives décidées par l’UE bousculent le Droit International ?

Aborder ce point requiert de mettre au jour des conséquences non visibles des mesures prises, puisqu’au delà de leur inefficacité pour servir la Paix, se dessine un mouvement d’escalade qui met en risque les pays membres au premier rang desquels la France.

Le 18 juillet 2025, le Conseil de l’Union européenne a approuvé son dix-huitième train de sanctions à l’encontre de la Russie, décrit par la Haute Représentante de l’UE comme « l’un des trains de sanctions les plus sévères à ce jour ».

Tout dernièrement, un 19e a été annoncé.https://fr.euronews.com/my-europe/2025/09/10/von-der-leyen-annonce-de-nouvelles-sanctions-contre-la-russie-et-un-nouveau-pret-pour-lukr

Ont ainsi été introduites de nouvelles mesures restrictives de grande envergure, tout en renforçant la lutte contre le contournement par des pays tiers. Cinq domaines clés ont fait l’objet d’une pléthore de modifications techniques :

  • Un élargissement significatif des institutions financières russes avec lesquelles il n’est pas permis de traiter, avec un accent particulier sur la réduction des transactions d’évitement via les sociétés de crypto-monnaie.
  • De nouvelles restrictions visant à réduire les exportations d’énergie russes, y compris un renforcement des mesures contre la flotte fantôme de la Russie.
  • Un nouveau renforcement du régime de contrôle et d’interdiction des exportations concernant les biens et technologies militaires à double usage.
  • Des mesures ciblées visant à restreindre les exportations de logiciels utilisés dans le secteur financier russe.
  • un renforcement des mesures anti-contournement et des mesures à l’égard des pays tiers.

Lever le voile

Parmi les nombreuses mesures, une frappe discrète mais fondamentale : des restrictions inédites à l’arbitrage d’investissement, touchant au cœur du système de protection des investisseurs étrangers.

Le nouveau paquet introduit des dispositions refusant la reconnaissance/l’exécution de tout jugement ou sentence issu des procédures de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS).

Cette mesure est présentée comme « défensive » visant à empêcher la Russie ou ses entreprises publiques de contourner les sanctions par le biais de recours juridiques devant des tribunaux arbitraux étrangers.

En effet, certaines entreprises russes tentent de poursuivre les États de l’UE en vertu des traités bilatéraux d’investissement pour les pertes causées par les sanctions, et l’UE veut bloquer les demandes présentées par des entités russes.

Derrière la technicité, l’impact est colossal.

En effet, cet enjeu nous concerne tous car cette évolution bouleverse l’équilibre des obligations issues du droit international des investissements rappelées ci-après.

Rappels des principes fondamentaux

1) Pacta sunt servanda. C’est la pierre angulaire du droit international : « les conventions doivent être respectées ». La signature des parties engage. Les États liés par un traité international ne peuvent s’en libérer unilatéralement, sauf dans les cas expressément prévus par le droit international. La sécurité juridique et la confiance des investisseurs reposent sur ce principe.

2) Caractère synallagmatique des traités. C’est l’architecture juridique qui découle du principe ci-dessus et qui définit son régime: un traité bilatéral ou multilatéral n’est pas une déclaration unilatérale, mais crée des obligations réciproques. Dans le cas des traités bilatéraux d’investissement (BIT), les États s’engagent à protéger réciproquement les investisseurs de l’autre partie. Un manquement ou une suspension unilatérale remet en cause l’équilibre contractuel et ouvre la porte aux litiges.

3) Arbitrage ICSID. C’est le mécanisme de règlement des litiges dans le domaine: le centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements est le forum privilégié pour trancher ces conflits. Les investisseurs étrangers peuvent y contester les mesures d’un État qui violent leurs droits garantis par un BIT. La force obligatoire de ses sentences renforce la protection des investisseurs… mais nous verrons que la confrontation avec des régimes de sanctions change la donne.

4) Convention de Vienne sur le droit des traités. C’est la source qui régit le fonctionnement du système: la Convention de 1969 encadre strictement les modalités de retrait ou de suspension d’un traité. L’article 54 précise que la fin d’un traité suppose soit l’accord des parties, soit une clause prévue dans le traité lui-même. Un retrait ou une suspension unilatérale pour motif politique – par exemple, l’invocation de sanctions – ne s’inscrit pas facilement dans ce cadre.

Entre le marteau et l’enclume

Le droit international des investissements repose sur ces piliers. Le système n’est pas parfait mais il a assuré un équilibre et une stabilité pendant l’essor économique de l’après-guerre.

Alors que la multi-polarité reprend de la vigueur, et que la grande majorité des pays revendiquent l’application des mêmes droits pour tous et dénoncent une application du « rules based order » à géométrie variable, les opérateurs économiques à travers le monde sont pris dans un étau juridique, sommés de choisir quel « ordre juridique » respecter, au risque de violer l’autre.

Car au-delà du cas russe, ce sont les entreprises européennes qui se trouvent piégées entre deux feux : d’un côté, la pression des règlements européens, d’un autre l’exposition à des contre-mesures et condamnations à l’étranger, sans compter la possible saisie de leurs avoirs, localisés à l’étranger, là où les mesures prétendument protectrices décidées par l’UE n’auront aucun effet.

Ceci constitue un risque majeur pour l’économie du Pays puisque ses richesses directes et collatérales sont directement visées.

Collision normative

  • Des arbitrages en cours risquent d’être suspendus, et c’est déjà le cas, rendus inopérants ou réduits à des “sentences fantômes” inapplicables en Europe.
  • Les investisseurs cherchent des solutions de contournement : restructuration via des juridictions tierces, arbitrages hors UE, recours à des traités extra-européens.
  • Les entreprises européennes, elles, risquent de se retrouver poursuivies à l’étranger pour violation de leurs engagements, ou confrontées à des contre-mesures, et devoir financer des litiges multi-juridictionnels sans visibilité de résolution ou quant à l’exécution des condamnations qu’elles pourraient obtenir.

Contradictions et crédibilité

  • Que ne relève-t-on la contradiction et les dangers de la violation du principe fondamental du pacta sunt servanda par les Etats quand ils se placent eux-mêmes en contradiction avec les obligations issues de traités bilatéraux ou multilatéraux d’investissement ?
  • Que devient la réciprocité des Traités quand une partie se dégage unilatéralement de ses obligations pour motifs politiques ?
  • Le recours à l’arbitrage international d’investissement est-il encore un outil crédible, si les sentences en faveur d’investisseurs en provenance des pays en guerre deviennent inopérantes sur le territoire européen ?
  • Si certains investisseurs sont privés de l’accès à l’arbitrage, l’Union Européenne ne crée-t-elle pas une brèche qui fragilise la confiance de tous les investisseurs internationaux, y compris ceux qui ne sont pas russes ?

Ce que révèlent les mesures prodiguées par les « paquets de sanctions », c’est une tension profonde entre la politique juridique – instrument de puissance, de sanction, de guerre économique – et la règle de droit, qui vise à assurer prévisibilité, confiance et stabilité.

Or ce sont les peuples et les entreprises qui paient le prix de cette tension.

Les entreprises et leurs ressources humaines, le poumon de nos économies, ont besoin de sécurité juridique pour investir, créer et prospérer.

Alors que l’inefficacité de « l’ordre mondial fondé sur des règles« , face aux foyers de tensions et de guerres, est cruellement mise au jour, les implications des mesures coercitives unilatérales menacent la crédibilité et la stabilité des engagements pris par la France.

En effet, quand une partie ne respecte pas sa signature à un contrat, le cocontractant peut demander des dédommagements pour le préjudice subi du fait de l’inexécution, avec potentiellement des intérêts sur les sommes dues.

Sur des investissements portant sur des millions, voire des milliards, on n’ose imaginer combien pourraient représenter des intérêts sur plusieurs années d’inexécution. Notre économie et nos moyens de préserver la paix sociale s’en retrouveraient dangereusement exposés.

Pendant ce temps là, le reste du monde se réorganise autour des partenariats et du commerce.

Réunion de l’OCS

Le 25e sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) s’est tenu à Tianjin les 31 août et 1er septembre. À cette occasion, le président chinois Xi Jinping, qui assurait la présidence tournante, a affirmé que l’OCS devait œuvrer pour la paix, la stabilité mondiale et les valeurs universelles. Il a proposé de renforcer la coopération autour de trois axes — énergie, industrie verte, économie numérique — et annoncé la création de centres dédiés à l’innovation technologique, à l’enseignement supérieur et à la formation professionnelle.

Le Président a également présenté son « Initiative pour la gouvernance mondiale », fondée sur cinq principes :

  • égalité souveraine des États,
  • respect du droit international,
  • multilatéralisme,
  • approche centrée sur le peuple
  • et actions concrètes.

Il a rejeté les « deux poids deux mesures » et critiqué l’imposition de règles nationales à d’autres pays. Enfin, tout en soulignant les tendances durables vers la paix et la coopération, il a dénoncé la persistance de la mentalité de guerre froide, de l’hégémonisme et du protectionnisme. https://english.www.gov.cn/news/202509/01/content_WS68b584acc6d0868f4e8f53c8.html

La Chine a ainsi pris des contre-mesures à l’encontre de deux banques de l’Union européenne, en réponse à l’inscription par cette dernière de deux institutions financières chinoises sur une liste de sanctions liées à la Russie, a déclaré son ministère du commerce.https://www.reuters.com/world/china/china-targets-two-eu-banks-retaliating-blocs-russia-sanctions-package-2025-08-13/

Les banques lituaniennes UAB Urbo Bankas et AB Mano Bankas se sont vu interdire, avec effet immédiat, d’effectuer des transactions et de coopérer avec des organisations et des personnes en Chine, selon le communiqué du ministère.

Force Sibérie 2

Le tracé du gazoduc Force de Sibérie 2 vers la Chine est en cours de finalisation, mais Pékin reste réservé, malgré les ambitions russes de réorienter les exportations de gaz de l’Europe vers l’Asie. Le contrat entre Gazprom et CNPC pourrait être signé d’ici la fin de l’année, permettant à la Russie de livrer d’importantes quantités de gaz et de GNL à la Chine d’ici 2030. https://www.courrierinternational.com/article/vu-de-moscou-avec-le-gazoduc-force-de-siberie-2-la-russie-mise-sur-la-chine-pour-tourner-la-page-europeenne_234732

C’est une illustration des mécanismes de dé-globalisation et de reconfiguration énergétiques mis en oeuvre par les BRICS pour se donner les moyens de la multi-polarité.

En effet, la seule garantie de créer les conditions positives d’un développement de l’industrie et de l’économie, c’est la maitrise de l’approvisionnement énergétique.

On comprend bien que de tels circuits commencent à contourner totalement le continent européen, à son plus grand préjudice.

Ceci se met en place parallèlement à un courant de dé-dolarisation, puisque les pays dits « non alignés » veulent se donner les moyens de s’affranchir des mécanismes qui permettent de faire tomber dans le girons du Trésor américain et de l’OFAC (Office Foreign Asset Control) via les transactions effectuées en dollars et l’application de l’extra-territorialité des lois US.

Je te tiens, Tu me tiens

Après le sommet historique dans l’État pétrolier de l’Alaska entre les deux présidents Américain et Russe, The Wall Street Journal déclare qu’« Exxon a mené des discussions secrètes avec Rosneft pour son retour en Russie » (Exxon Held Secret Talks With Rosneft About Going Back to Russia », Joe Wallace, Costas Paris, Alex Leary & Collin Eaton, The Wall Street Journal, August 26, 2025).

La reprise des activités en Russie marquerait un rapprochement spectaculaire après la rupture chaotique d’Exxon avec Moscou en 2022. C’est alors que se dessine un double fond entre la posture officielle des états et les intérêts particuliers, considérant que Exxon n’est pas une compagnie pétrolière comme les autres (Private Empire : Exxonmobil and American Power, Steve Coll, ED. Penguin, 2013)

Selon le journal US, « ce que les deux dirigeants n’ont pas dit : à huis clos, les plus grandes entreprises énergétiques de leurs pays avaient déjà esquissé une feuille de route pour reprendre leurs activités, en exploitant des gisements de pétrole et de gaz au large des côtes de l’Extrême-Orient russe » et que « lors de conversations secrètes avec la plus grande entreprise énergétique publique de Russie cette année, un haut dirigeant d’ExxonMobil a discuté du retour au projet gigantesque de Sakhaline si les deux gouvernements donnaient leur feu vert, dans le cadre du processus de paix en Ukraine, ont déclaré des personnes proches des discussions ».

Selon Reuters, il existe « la perspective d’un achat par la Russie d’équipements états-uniens pour ses projets de gaz LNG (gaz naturel liquéfié) dans l’Arctique LNG 2 ». De plus, il est très probable que « les États-Unis achètent des brise-glaces à la Russie » « Exclusive : US and Russian officials discussed energy deals alongside latest Ukraine peace talks », Anna Hirtenstein & Marwa Rashad, Reuters, August 26, 2025..

À ce propos, le Président de la fédération de Russie a déclaré que « la Russie discute d’une coopération avec les États-Unis sur l’Arctique et l’Alaska » alors que « la zone arctique dispose d’importantes réserves de ressources minérales et que la Russie possède des technologies uniques qui attirent des partenaires étrangers ».

Jeux de dupes

La Commission européenne a infligé à Google une amende de 2,95 milliards d’euros, la deuxième plus lourde jamais prononcée contre l’entreprise. Elle sanctionne un abus de position dominante sur le marché de la publicité en ligne (adtech), après quatre ans d’enquête.

L’ancien président américain a dénoncé sur Truth Social une attaque contre « l’ingéniosité américaine » et menacé de représailles commerciales via une procédure de type Section 301 contre l’UE.

Le titre III du Trade Act de 1974 (sections 301-310, 19 U.S.C. §§2411-2420), intitulé « Relief from Unfair Trade Practices », désigné sous le nom de « section 301 » confère à l’Office du représentant américain au commerce (USTR) un ensemble de responsabilités et de pouvoirs lui permettant d’enquêter et de prendre des mesures (par exemple, imposer des droits de douanes) pour faire respecter les droits des États-Unis dans le cadre d’accords commerciaux et répondre à certaines pratiques commerciales étrangères.

Une enquête au titre de la section 301 peut être ouverte si les droits des États-Unis dans le cadre d’un accord commercial sont bafoués ou si:

i) un acte, une politique ou une pratique d’un gouvernement étranger viole, est incompatible ou refuse des avantages aux États-Unis dans le cadre d’un accord commercial;

ou ii) est « injustifiable » et « pèse ou restreint » le commerce américain. La loi ne limite pas la portée des enquêtes et définit le « commerce » comme incluant les services et les investissements.

Au-delà de la sanction, l’exécutif européen dit vouloir « mettre fin à la domination de Google dans l’adtech et ouvrir le marché à la concurrence« . Il a ordonné à Google de cesser le « self-preferencing » de ses propres outils et de présenter d’ici début novembre des propositions de mise en conformité.

En tout cas, on voit là aussi se dessiner une ligne de tension entre les intérêts des contradictoires.

Mais surtout, que les faux semblants vont bon train quand il s’agit de maintenir la confusion pour que surtout, rien de ne change, au service d’une concurrence loin d’être toujours loyale et de la division des classes qui devraient pourtant s’unir de manière transversale.

Trajectoire fatale ou sursaut dynamique ?

L’Etat Français, et les Etats Membres, se trouvent à la croisée des chemins : protéger et maintenir la ligne actuelle de gestion des affaires économiques et internationales et aller dans le mur – ou préserver sa / leur crédibilité dans l’ordre juridique international, par un électro-choc cognitif pour préparer à affronter les secousses économiques qui arrivent.

Manifestement, la situation actuelle n’est pas le fait des peuples d’Europe, mais de ceux qui décident en leurs noms. Mais elle semble si complexe, que la tendance est de dire qu’on ne peut rien y faire.

Nous ne sommes pas de cet avis.

L’enjeu n’est pas de choisir entre puissance et droit, de gagner une joute verbale, ou un débat philosophique, mais de résoudre les conflits au service des populations, de la sauvegarde du patrimoine et des richesses du pays.

Pour cela, il faut faire face au réel, changer de niveau logique et construire des solutions qui permettent de sortir de l’ornière et d’envisager les plans directeurs qui permettront de résister aux secousses et d’avancer vers un futur plus souhaitable que celui qui se profile.

Certes l’économie de guerre profite à certains. Comme le chaos apparent. C’est cynique, mais c’est vrai.

En revanche, elle coutent aux populations qui ont beaucoup, beaucoup à perdre.

Car où se trouve la véritable sécurité dans une économie mondialisée et en proie à l’hyper digitalisation, quand les gouvernants persévèrent dans des choix contraires à une ré-industrialisation saine et à un développement technologique qui asservissent les hommes ou lieu de les servir ?

Et in fine, y a-t-il pire insécurité et asservissement que d’être appelé à aller faire la guerre pour tuer d’autres humains ?

Dessiner une troisième voie

On entend beaucoup parler de chaos. Et si le désordre n’était qu’apparent?

La nature humaine est ontologiquement résistante au changement et trouve une forme de sécurité immédiate dans l’inertie.

Cette disposition naturelle face à l’incertitude conduit la plupart à se dire: « si trouver une solution simple était possible, ça se saurait« .

Or, tout problème complexe correspond à une architecture qui s’est construite, et que l’on peut déconstruire. En revanche, il faut admettre qu’on ne peut rien faire quand rien n’est à sa place.

D’où l’impérative nécessité d’analyser les choses telles qu’elles sont et ce qu’elles signifient.

La Politique Economique et de Sécurité Commune (PESC) illustre une vérité dérangeante : en prétendant protéger l’Europe, elle fragilise l’un de ses fondements – la force du droit international – notamment le principe « un pays, une voix » – comme garant de la confiance, de prospérité et de la Paix.

Les fondements rappelés plus haut, qui devraient certes être appelés à évoluer dans un contexte de mutation des forces en présence, ont fait leurs preuves.

Les remettre en cause au bénéfice d’un système de « règles » dans lequel maintenir les foules dans l’illusion qu’un seul choix est possible – être pour ou être contre – est un leurre et constitue un danger.

Etre coincé entre la soumission aux rapports de force géopolitiques ou celle de l’obéissance aveugle au légalisme – est, au mieux un biais, au pire un piège, empêchant une saine prise de recul et conduisant à diffuser la peur pour diviser, et mieux régner.

Or, il est permis d’imaginer des solutions alternatives, comme dans tout litige.

L’empêcher, c’est laisser place à l’hybris, ce risque de démesure, cette tentation d’aller toujours plus loin, sans mesure ni retenue, au point de vouloir imposer au reste du monde, sa vision du monde, aussi étriquée soit-elle.

Notre choix est clair : défendre l’intérêt commun contre l’hybris par le réarmement de l’esprit-critique et de l’Etat de Justice. Non pas au nom d’une idéologie, ni même au nom de la règle de droit, car la règle temporelle n’est que relative et différente en fonction du pouvoir en place.

Mais au nom du droit naturel universellement valide du vivre et laisser vivre.

L’intérêt de s’entendre

Est dit de « Droit naturel » ce qui est universellement valide, en tout lieu et en tout temps.

Est dit de « Droit positif » ce qui est en soi indifférent mais qui s’impose à tous par suite d’un choix conventionnel et contingent.

C’est la distinction que fait Aristote dans l’Ethique à Nicomaque: « La justice politique elle-même est de deux espèces, l’une naturelle, l’autre légale. Est naturelle celle qui a partout la même force et ne dépend pas de telle ou telle opinion ; légale celle qui à l’origine peut être indifféremment ceci ou cela, mais qui une fois établie, s’impose (…) »

L’aspiration des populations à vivre et à subvenir à leurs besoins élémentaires, sans être inquiétées pour leur intégrité a partout la même force, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, et ne saurait dépendre de telle ou telle autre opinion. C’est une vérité irréfutable.

Alors, quand l’Hybris traduit la soif de pouvoir et la défense d’intérêts personnels au détriment de celle du bien commun que représente une saine concorde entre les peuples et un projet de commerce équitable profitant à tous, il convient dire stop et de revenir « la méthode » pour s’entendre avec son contradicteur, ou s’en remettre à un arbitre pour qu’il tranche.

Notre pays fût jadis un acteur majeur de l’action diplomatique, et notre en était la plus brillante manifestation.

Pourquoi ? Parce que la langue française, héritière du latin, présente les bases solides, permanentes, universelles qui permettent l’établissement de règles certaines.

C’est elle qui a réuni des peuples divers pour bâtir en confiance, sur ces principes, parce qu’elle était connue et reconnue pour ses qualités de clarté, de précision, son aptitude à formuler les définitions et les abstractions autour desquelles les représentants des pays « qui avaient le Français en partage » pouvaient se projeter, imaginer et construire une nouvelle réalité désirable et digne d’être appréciée.

Aujourd’hui, au lieu de revêtir ce rôle majeur d’arbitre, la France emprunte une voie fort éloignée de la neutralité, qui la conduit à être internationalement dépréciée, tout en profitant à d’autres.

Mais rien n’empêche celui qui se fourvoie de faire amende honorable.

C’est aussi l’enseignement du Tao Te King (n°61):

« Une grande nation est comme un grand homme : quand il fait une erreur, il s’en rend compte. S’en étant rendu compte, il l’admet. L’ayant admis, il la corrige. Il considère ceux qui lui montrent ses fautes comme ses guides les plus bienveillants. Il considère son ennemi comme l’ombre que lui-même projette.

Si une nation est centrée dans le Tao, si elle nourrit ses citoyens et ne se mêle pas des affaires des autres, elle sera une lumière pour toutes les nations du monde. »

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Si vous découvrez ce billet, je m’appelle Sabrina Toscani, avocat en droit des affaires à l’international. Engagée auprès des entreprises et dans les prétoires, j’aime décoder la complexité en prenant du recul et produire du sens pour aider les décideurs qui ne veulent pas subir les conséquences de la guerre économique à lever le voile sur les enjeux, à décider avec calme, confiance et assertivité.

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