Ce soir, le master Droit public comparé et le master Droit comparé des affaires organisent une conférence intitulée « International Finance and the Return of Geopolitics » avec Pierre-Hughes VERDIER, professeur à University of Virginia, avec la présentation suivante:
« Le retour de la concurrence entre grandes puissances transforme les relations économiques internationales, alors que des régimes juridiques de longue date sont remis en question et que les modèles de commerce et d’investissement sont reconfigurés selon des lignes géopolitiques. Cette conférence examinera comment la concurrence géopolitique génère des défis fondamentaux et omniprésents pour le régime de gouvernance financière internationale. Les tendances pertinentes comprennent la militarisation de l’infrastructure financière internationale, les restrictions des flux de capitaux fondées sur la sécurité, les efforts de réorientation des ressources financières vers les alliés et les industries stratégiques, et les tentatives d’enrôler les régulateurs financiers pour faire avancer les objectifs géopolitiques. Le retour de la géopolitique pourrait s’avérer être le tournant le plus important dans l’histoire de la gouvernance financière internationale, bien plus que la crise financière mondiale, qui a mis le système à rude épreuve mais n’a pas remis en cause ses principes fondamentaux. »
Ces considérations m’encouragent à persévérer dans mon approche qui consiste à identifier et qualifier le risque pour une prise de décision éclairée, et prévoir le coup d’après pour limiter l’impact en cas de réalisation du risque.
Réalisme et stratégie
« Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ». Entre cynisme et pragmatisme, l’Histoire nous apprend que « l’Ami américain » avait un projet plus prédateur que sauveur sur la France (et l’Europe) indépendante et autonome (« Washington contre De Gaulle », de Eric Bronca).
Explorer les dynamiques de pouvoir et d’interdépendance soulève plusieurs enjeux juridiques intéressants, notamment dans les domaines du commerce international, de la concurrence économique, de la régulation des investissements étrangers, et des sanctions économiques.
Décoder les textes, leur fond idéologique et leurs conséquences permet de comprendre comment le droit est utilisé comme levier stratégique pour consolider ou étendre l’influence d’un acteur.
Influence de la géopolitique sur le Droit
L’internationalisation des échanges et les rivalités géopolitiques ont donné naissance à des textes issus de diverses instances de décisions supranationales, à l’origine présentés comme les mécanismes permettant la mise en oeuvres de valeurs communes et d’outils de cohésion sociale.
Ils sont devenus des armes de conquête et de défense des marchés, et non plus de protection et de défense des populations.
Pour illustration, l’imposition de sanctions économiques reflète une utilisation du droit pour isoler un pays sur le plan économique, puisqu’elles visent, sur le principe, à réduire les capacités financières d’un Pays, tout en ayant l’intention d’influencer son économie de manière significative. Cependant, l’examen sur le terrain montre que ce sont les populations qui en pâtissent, et que les effets réels de l’interventionisme peuvent être bien différents de ceux escomptés. https://lecourrierdesstrateges.fr/2024/04/10/russie-et-indonesie-devant-allemagne-et-france-en-parite-de-pouvoir-dachat/
En tout état de cause, l’interventionisme comme doctrine, selon un double standard en fonction des intérêts en présence, commande aux entreprises de prendre du recul et de se détacher de toute idéologie pour apprécier les vrais risques, en étant au fait des enjeux dissimulés derrière les textes législatifs nationaux et les textes internationaux.
Pourquoi sont elles concernées ? parce que l’augmentation exponentielle des dépôts de bilan commande un réveil énergique.
Dé-formatage des esprits
Pour soutenir l’innovation, attention aux postures de principe et à la pression de conformité.
Les entreprises qui n’en ont pas encore pris la mesure vont devoir faire les choses différemment, notamment reconnaître que la politique influence l’environnement commercial plus qu’elle ne l’a fait pendant des décennies, et surtout de discerner le vrai du faux.
La mise au ban d’un acteur estampillé « fautif » au nom de la défense de valeurs humanistes brandie par la « communauté globale » (de quoi parle-t-on?) écrase désormais toute autre considération au mépris des intérêts de l’industrie française et européenne, qui fait face à une équation délétère: dette élevée + perte d’indépendance énergétique.
Or les conséquences ont des causes, et il n’est pas aisé de les identifier lorsque les acteurs brouillent les pistes.
Par exemple: d’une part, Reuters nous apprend que le US Treasury vise la banque Russe Gazprom de nouvelles sanctions: https://www.reuters.com/business/finance/us-targets-russias-gazprombank-with-new-sanctions-treasury-website-shows-2024-11-21/.
Dans le même temps, le département du Trésor américain via l’OFAC (Office of foreign assets control) a pourtant autorisé le 30 octobre 2024, la reprise des transactions avec un certain nombres d’établissements bancaires russes liées à énergie, à savoir:
« Sous réserve des dispositions du paragraphe (c) de la présente licence générale, toutes les transactions interdites par l’Executive Order (E.O.) 14024 impliquant une ou plusieurs des entités suivantes liées à l’énergie sont autorisées jusqu’au 30 avril 2025 à 0 h 01, heure avancée de l’Est : (…)
Aux fins de la présente licence générale, le terme « lié à l’énergie » désigne l’extraction, la production, le raffinage, la liquéfaction, la gazéification, la regazéification, la conversion, l’enrichissement, la fabrication, le transport ou l’achat de pétrole, y compris le pétrole brut, les condensats de location, les huiles non finies, les liquides de gaz naturel, les produits pétroliers, le gaz naturel, ou d’autres produits capables de produire de l’énergie, tels que le charbon, le bois ou les produits agricoles utilisés pour fabriquer des biocarburants, ou l’uranium sous quelque forme que ce soit, ainsi que le développement, la production, la génération, le transport ou l’échange d’énergie, par quelque moyen que ce soit, y compris les sources d’énergie nucléaire, thermique et renouvelable. (https://www.federalregister.gov/documents/2024/11/14/2024-26229/publication-of-russian-harmful-foreign-activities-sanctions-regulations-web-general-licenses-8k-25g
Cultiver l’indépendance
Comparer les forces industrielles étrangères aux françaises met en évidence la faiblesse de la notre balance commerciale (plus d’importations que d’exportations), la charge de l’outil de production national qui plombe sa compétitivité et le coût prohibitif de l’énergie pour soutenir son développement. https://www.senat.fr/seances/s202412/s20241203/s20241203009.html
Dans les faits, il faudrait 7 ans pour construire et rendre opérationnelle une nouvelle usine en France, tant le millefeuille administratif est épais et le Code du travail clivant. Tout le temps qu’il faut pour s’installer, développer et opérer de l’étranger en 3 fois moins de temps…
L’approche « attendre et voir » peut être la voie la plus facile, surtout si l’on tient compte de l’éventail d’inconnues à l’équation. Mais peut on vraiment encore se permettre de chercher la facilité ?
Voici quelques questions difficiles mais salutaires à se poser:
Quels sont les risques géopolitiques qui pourraient faire dérailler nos prévisions financières ou nos plans d’entreprise ?
Comment les tendances politiques sur nos marchés clés s’alignent-elles sur nos objectifs à long terme ?
Exploitons-nous efficacement nos équipes chargées des affaires gouvernementales et des risques ?
Quels sont les scénarios susceptibles de perturber nos activités et dans quelle mesure sommes-nous prêts à y répondre ?
Il convient donc d’aider les chefs d’entreprise à identifier les implications géopolitiques pour repenser et adapter les modèles financiers, commerciaux et opérationnels.
La publication de KPMG nous donne du grain à moudre: https://assets.kpmg.com/content/dam/kpmg/xx/pdf/2018/03/the-ceo-as-chief-geopolitical-officer.pdf
Modèle financier :
– Quelles hypothèses de planification de l’entreprise pourraient être déréglées par la géopolitique ?
– Vos prévisions financières et vos plans d’affaires ont-ils été soumis à des tests de stress en cas de perturbations géopolitiques ?
– Que signifie l’augmentation de l’incertitude géopolitique sur la disponibilité et le coût des capitaux et des ressources ?
Modèle d’entreprise :
– Quelle sera la résilience de votre entreprise face à la perte d’un client clé à la suite d’un événement géopolitique ?
– Comment votre réseau de distribution ou votre portefeuille de produits réagirait à des changements géopolitiques majeurs ?
– Quels marchés nouveaux ou alternatifs à explorer à la lumière des trajectoires politiques possibles ?
Modèle opérationnel :
– Qui, au sein de l’entreprise, est responsable du suivi, de l’analyse et de l’interprétation des événements géopolitiques ?
– Votre modèle opérationnel est-il suffisamment agile pour répondre à un événement événement géopolitique surprise ?
– Votre intelligence géopolitique est-elle d’une qualité comparable à celle des données financières et opérationnelles ?
Conviction ou Responsabilité
Max Weber opposait l’éthique de conviction, qui sacrifie tout aux valeurs en bradant les intérêts, et l’éthique de responsabilité, qui compose avec le réel.
Alors attention au retour de bâton quand on évite de regarder les choses telles qu’elles sont, pour les voir comme on voudrait qu’elles soient:
Jusqu’où pousser une posture idéologique de guerre quand on regarde les effets pervers qu’elle engendre? En quoi l’importation massive et très coûteuse de gaz de schiste américain ou la remise en marche des usines à charbon les plus polluantes, que l’on voulait éliminer, servent elles les entreprises européennes, et françaises en particulier ?
L’industrie étant le moteur de l’économie, n’est il pas primordial que les pays membres de l’UE parviennent à définir ce que sont leurs intérêts communs de long terme et leur donnent la priorité? ne voyons nous pas que les conflits armés et propagateurs de désolation au sein des populations chez les autres finiront pas nous atteindre et que nous avons une responsabilité dans l’inertie des suiveurs ?
Il est temps de revenir au réel. Sinon c’est le réel qui va nous rappeler à l’ordre.
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Si vous découvrez cette newsletter, je suis avocat, j’ai 20 ans de pratique du droit des affaires dans un contexte international. Avec mes confrères hyper spécialisés dans leur domaine de compétence, nous conseillons et défendons les entreprises en France et à l’étranger. Parce que pour actionner l’effet de levier maximal, il faut analyser et orienter favorablement les rapports de forces.