« Je te hais plus qu’aucun des dieux qui vivent sur l’Olympe car tu ne rêves que discordes, guerres et combats. »
Ainsi parlait Zeus à Arès dans l’Illiade (V, 872-873).
Dieu de la brutalité et du carnage, Arès va au combat accompagné de sa sœur, Éris (la Discorde), ses fils Déimos (la Terreur) et Phobos (la Panique), ainsi que d’Ényo, déesse des batailles.
Arès n’est guerre plus apprécié de sa mère, Héra, dépitée qu’elle est de le voir prendre parti pour les Troyens pendant la guerre de Troie.
Athéna, déesse de la guerre comme lui, représente la bataille ordonnée, alors que lui représente le carnage.
Afin d’enrayer le bellicisme maladif d’Arès, Athéna lui tendit un piège afin qu’il fut enfermé pendant treize mois dans une jarre de bronze et livré par les Géants. Voulant se venger, Arès lança son javelot sur son opposante, qui l’évita et riposta en l’assommant d’une simple pierre.
Qui sème le vent, récolte la tempête. C’est vrai dans la mythologie, dans les relations internationales, comme dans les affaires et les relations interpersonnelles.
Les sanctions décidées par l’Union européennes favorisent elles le rétablissement de la paix?
Les sanctions et les mesures restrictives dont le nombres a été exponentiels depuis 2022 trouvent leur fondement dans la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), qui constitue la ligne politique de l’Union Européenne.https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=LEGISSUM:25_2
La PESC entend viser à: « maintenir la paix, renforcer la sécurité internationale, et promouvoir la coopération internationale, la démocratie, l’état de droit et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales« .
Dans ce cadre, l’article 29 du traité sur l’Union Européenne confère au Conseil de l’Union le droit d’adopter une décision afin d’imposer des mesures restrictives, improprement dénommées «sanctions», à l’encontre de pays tiers, d’entités non étatiques ou d’individus.
Ces mesures, qualifiées de « non punitives », sont imposées dans le but affiché d’inciter la partie cible à revoir sa politique ou activité à l’origine du comportement remis en question: sont généralement invoqués le non-respect du droit international ou des droits de l’homme, ou la conduite de politiques ou d’actions non conformes à l’état de droit ou aux principes démocratiques.
Ces mesures doivent être en conformité avec les objectifs de l’action extérieure de l’Union européenne, conformément à l’article 21 du traité UE.
Géométrie variable sur le terrain
Dans le cas de la Russie, les mesures se sont durcies, et la paix n’est toujours pas rétablie. Le Conseil européen des Affaires étrangères a adopté, mardi 20 mai 2025, un 17e paquet de mesures coercitives unilatérales à l’encontre de plusieurs personnes, entités et navires de la « flotte fantôme russe ».
Dans le cas de la Syrie, une réunion a été organisée à l’Elysée le 7 mai dernier pour négocier la levée des mesures coercitives de l’UE et des sanctions des Nations unies contre Ahmed al-Charaa, président autoproclamé syrien, et ancien numéro deux de Daesh, en échange de la création d’un État kurde sous contrôle français au nord de la Syrie.
Comment expliquer ce double langage, et cette différence de traitement ?
Nous ne posons pas la question en termes de « pour » ou « contre » mais en termes de pouvoir, et nous interrogeons sur le point de savoir au service de quoi les sanctions sont appliquées, ou non.
Car plusieurs études ont mis en évidence que l’efficacité des sanctions économiques n’était pas au rendez-vous, tant en termes d’objectifs, que de résultats : qu’il s’agisse du rétablissement de la paix ou de la protection des populations, c’est l’échec (https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/lefficacite-des-sanctions-economiques/- Rapport Matelly S., Gomez C., Carcanague S. (2017). Performance des sanctions internationales, Typologie : étude de cas. Rapport final PERSAN juin 2017, IRIS, CSFRS).
Quant aux questions juridiques que ne manquent pas de poser les sanctions et les mesures restrictives unilatérales, le casse-tête ne fait que commencer: https://www.village-justice.com/articles/sanctions-economiques-droits-fondamentaux-casse-tete-gel-des-avoirs-russes-par,53389.html#nh2-6
Entre pression de conformité, désintérêt et déni quant ax enjeux véritables, peu nombreuses sont les voix des juristes qui questionnent ces sujets.
Pourtant, après les entreprises, arbitres et avocats sentent actuellement souffler le vent du boulet.
En effet, ces derniers pourraient se voir subir les effets secondaires des implications des sanctions pour leurs clients, qu’ils soient en demande ou en défense (https://www.linkedin.com/posts/evanlang1_an-unprecedented-request-for-an-anti-arbitration-activity-7319025367602610176-qmY0?utm_source=share&utm_medium=member_desktop&rcm=ACoAAAnHqrIBwTjBBSRzYIBwnq57-DLXNL5oGhc)
De quoi s’agit il ? en ultra résumé : deux arbitrages engagés contre la Russie (sur le fondement des Traité sur l’Energie + Traité international bilatéral Allemagne-Russie), pour expropriation.
L’enjeu : la Russie invoque l’article 248.2 de son code de procédure arbitrale pour interdire les arbitrages liés aux sanctions — et, fait inédit, étend cette interdiction aux arbitres et avocats eux-mêmes, qui encourent de fortes pénalités.
Les cibles : un cabinet d’avocats allemand, trois arbitres, dont celui désigné par la Russie elle-même.
Motif invoqué : partialité présumée de la Cour d’arbitrage local (Russie) et sympathies occidentales.
Ce tournant devrait interpeler tous les acteurs du droit international et de l’arbitrage.
Paix par le Droit?
Je reviens d’une semaine de séminaire organisée par la Conférence Internationale de l’Arbitrage en Russie (RIAC), réunissant plus de 350 professionnels du droit, venus d’Asie, du Moyen Orient et d’Afrique, c’est à dire le reste du monde (J’y rencontré seulement trois français).
Nous avons pu écouter, puis débattre, en toute ouverture, et grâce aux interventions de professeurs de droit, d’arbitres et de confrères chevronnés, de questions aussi variées que les frictions entre force du contrat et ordre public international, entre politique juridique et respect des Traités internationaux, sanctions et respect des Droits Fondamentaux (propriété, vie privée, vie familiale), les enjeux de la convention de New York dans la digitalisation de l’économie, les nouveaux défis posés aux arbitres, les batailles de juridictions, etc…
Bref, de l’influence de la politique dans la conduite de la résolution des litiges, à différents niveaux.
J’ai aujourd’hui pris la mesure que le fossé s’est ainsi creusé, depuis la chute du mur de Berlin, entre deux visions du monde: la vision internationale (qui promeut la concorde entre les nations et leurs peuples, dans le respect de leur identité et de leur droit à disposer d’eux mêmes) et la vision globaliste (qui veut imposer une idéologie universaliste au nom d’une morale collectiviste).
Si cette dernière s’est imposée depuis la chute de l’Union soviétique, dans un monde devenu alors unipolaire, le réveil multipolaire et multiculturel à l’initiative des BRICS pourrait aider à faire respecter le droit international.
En effet, si le développement de l’économie d’après-guerre et l’avènement du libre-échange étaient sensés profiter au plus grand nombre, sachant que le commerce, de tout temps, a favorisé l’entente cordiale entre les peuples, ce n’est qu’à condition que certains équilibres soient respectés.
Mais quand un acteur (qu’il s’agisse d’un pays, d’un groupe d’intérêts privés ou d’un concurrent), laisse s’exprimer ses intentions hégémoniques et abuse du rapport de force supérieur qui est le sien, jusqu’à dépasser la ligne rouge qui rompt l’équilibre fragile du vivre ensemble, alors les frustrations réprimées s’expriment, la confiance s’érode, jusqu’à ce que la corde finisse, un jour, par se rompre.
L’Europe de la guerre et l’Europe de la Paix
Les conventions de La Haye de 1899 et 1907 pour le règlement pacifique des conflits internationaux, lesquelles constituent les textes fondateurs de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye, avaient posé les bases prometteuses d’une paix par le Droit en jetant les bases du droit international.
Elles ont été suivies par deux conflits armés les plus meurtriers de l’histoire http://www.musee-armistice-14-18.fr/le-bilan-de-la-2nde-guerre-mondiale/:
La 1ère guerre mondiale :
- 10 millions de morts
- 19 millions de blessés
- 10 millions de mutilés
- 9 millions d’orphelins
- Allemagne : 1 950 000 morts (1 habitant sur 30)
- Grande-Bretagne : 870 000 morts (1 habitant sur 57)
- France : 1 391 000 morts (1 habitant sur 25)
La 2ème guerre mondiale fut encore plus coûteuse en vie humaine de toute l’Histoire. Elle fut aussi le premier conflit à toucher autant les populations civiles. Le nombre de pertes d’hommes pour les forces Alliés s’élèvent à :
- URSS : 21 400 000 morts
- Allemagne : 7 060 000 mort
- Pologne : 5 820 000 morts
- Japon : 2 000 000 morts
- France : 541 000 morts
- Entre 50 et 60 millions de morts soit :
- 22 millions de militaires
- 31 millions de civils
Qu’il nous soit pardonné ce comptage macabre, mais la réalité et la lucidité devraient être des rappels, salutaires, venant frapper l’utopie humaniste, et la dystopie ambiante, au coin du bon sens.
Lors de la Conférence de San Francisco destinée à élaborer la Charte des Nations Unies, qui fut finalement signée le 26 juin 1945 par les représentants des 50 futurs États Membres, codifie les grands principes des relations internationales:
- égalité souveraine des États
- interdiction d’employer la force dans ces relations
- création de la Cour internationale de Justice faisant partie intégrante de la Charte.
Mais les faits et certains analystes nous rappellent que les Nations Unies échouent à empêcher la guerre (https://finnandreen.substack.com/p/the-incapability-of-the-united-nations).
A cette nuance près que les institutions, comme le Droit, ne sont que des outils : tel un marteau, les outils sont capables du meilleur comme du pire. Tout dépend au service de quoi ces outils sont utilisés.
Et quand des intérêts divergents s’opposent au sein des institutions internationales, il convient de regarder au delà des pays, et de chercher à identifier les décisionnaires, c’est à dire les réels détenteurs du pouvoir.
Diviser pour mieux régner
Jusqu’ici, les « sanctions » européennes étaient étudiées et proposées par le Groupe d’experts YermakMcFaul de la Kyiv School of Economics et de la Yale School of Management https://www.business-humanrights.org/en/latest-news/yale-kse-institute-explain-methodology-behind-their-analysis-of-tracking-business-exodus-from-russia-1-year-into-invasion/, avant d’être approuvées par le département d’État, puis transmises au Service européen pour l’action extérieure (SEAE).
Le sénateur républicain Lindsey Graham et 50 de ses collègues avaient introduit, le 1er avril 2024, une proposition de loi sur les sanctions contre la Russie. À l’époque, il s’agissait de faire entrer dans la loi la politique de l’administration Biden contre la Russie. Les mesures coercitives unilatérales de l’UE étaient la copie conforme de celles des USA.
Selon des sources allemandes https://www.sueddeutsche.de/politik/eu-usa-russland-sanktionen-li.3259624?reduced=true, un document interne du ministère des Affaires étrangères montre que les Européens et les Américains ne tireraient plus dans la même direction lorsqu’il s’agit d’appliquer des sanctions économiques contre la Russie.
Pourtant, dans le même temps, de retour d’Ukraine, les sénateurs américains Richard Blumenthal (démocrate du Connecticut) et Lindsey Graham (républicain de Caroline du Sud) ont rencontré les ministres français des Finances et des Affaires étrangères à Paris, puis le président Macron, pour discuter de sanctions secondaires contre les clients de l’industrie pétrolière russe plaidant qu’ « il faut augmenter le coût de la guerre pour Poutine« . https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/guerre-en-ukraine-il-faut-augmenter-le-cout-de-la-guerre-pour-poutine-plaident-des-senateurs-americains-a-paris-2168217
Et le 2 juin à Berlin, le même Lindsey Graham a rencontré Ursula von der Leyen, présidente de l’Union européenne, se proposant de coordonner le Congrès et l’UE face à la Russie. Mme von der Leyen s’est dite particulièrement intéressée par un abaissement du plafond du prix du pétrole exporté par la Russie, actuellement à 60 dollars, qui pourrait être placé à 40 dollars.https://europa.eu/newsroom/ecpc-failover/pdf/read-25-1375_fr.pdf
Pendant que les Etats-Unis manient le chaud et le froid, l’Union Européenne, qui a lancé le 17ème paquet de « sanctions » contre la Russie, prépare le 18ème.
Et les européens subissent, et ne parviennent pas à se fédérer pour inverser la tendance.
Financer la guerre, appauvrir les populations
L’Union Européenne fournit à Kiev un soutien financier croissant pour alimenter la guerre contre la Russie. Il se monte jusqu’à présent à 148 milliards d’euros, dont plus de 50 milliards à des objectifs directement militaires pour l’achat d’armements et l’entraînement de troupes. À cela s’ajoute la dépense militaire croissante des pays européens membres de l’OTAN.
La guerre a un coût humain d’abord, financier ensuite, au détriment de l’usage de l’argent public soustrait aux dépenses sociales. Dans le même temps, les sanctions pénalisent les PME et les familles à cause de l’augmentation du coût de l’énergie qui en résulte.
Par exemple: « La dépense militaire annuelle de l’Italie en 2025 se monte à 35 400 millions d’euros, équivalents à une moyenne d’environ 97 millions par jour. Sous peu, sur la base de l’engagement pris dans l’OTAN, elle devra monter à une moyenne de 124 millions d’euros par jour. Aux actuels plus de 35 milliards annuels de dépense militaire s’ajoute la dépense pour l’achat de nouveaux armements, qui a dépassé les 70 milliards d‘euros et est en croissance ultérieure. » (cf La loi du plus fort par Manlio Dinucci, in Réseau Voltaire | Rome (Italie) | 24 mai 2025).
Et pendant ce temps, l’Union européenne continue d’importer du gaz russe https://www.theguardian.com/environment/2025/jan/09/european-imports-of-liquefied-natural-gas-from-russia-at-record-levels, même en se fournissant via l’Inde, et en multipliant au passage la facture, toujours au détriment de sa population.
Besoin de vérité
Le temps du rayonnement diplomatique français n’est plus. Pourtant, il suffit d’une volonté politique pour fédérer les populations de France et de Navarre et de porter un projet de paix, plutôt qu’un projet de guerre.
La première action concrète offerte à tout un chacun est de ne pas vivre dans le mensonge. C’est la clef de notre libération que rappelait déjà Alexandra Soljenitsyne: « LE REFUS DE PARTICIPER PERSONNELLEMENT AU MENSONGE ! Qu’importe si le mensonge recouvre tout, s’il devient maître de tout, mais soyons intraitables au moins sur ce point : qu’il ne le devienne pas PAR MOI ! » (le déclin du courage, Discours de Harvard 1978).
Ainsi l’Avocat se doit-il de dénoncer la perversion des textes iniques, les contre-vérités, les falsifications et les réécritures de l’Histoire qui précipitent ses clients dans les affres de la guerre, fût elle interpersonnelle, commerciale ou politique.
Alors que faire?
Puisque les lois sont prises « au nom du peuple français », il appartient à chacun de s’intéresser aux lois qui sont votées et aux décisions qui sont prises en son nom.
Le mardi 27 mai 2025, en France, l’Assemblée nationale a adopté la loi sur «l’euthanasie», malgré de multiples protestations dans la population. Rappelons le serment d’Hippocrate: «Je ne remettrai à personne du poison mortel (φάρμακον θανάσιμον: pharmakon thanasimon) si on m’en demande ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion.» https://telegra.ph/Le-poison-mortel-droit-%C3%A0-mourir-ou-droit-%C3%A0-tuer-05-31, @antipresseJune 01, 2025.
Avez-vous donné votre accord ?
Comme dans une affaire judiciaire, il convient de regarder les faits, puis d’utiliser son esprit critique pour les analyser, en discuter, les confronter. Refuser de prendre pour argent comptant les litanies médiatiques qui travestissent les faits par des mots chimères, comme confondre le droit à mourir avec le droit à tuer.
Comment faire ?
Athéna l’a emporté sur Arès. Pourquoi? Parce que là où la rage est aveugle et barbare, incapable d’aboutir à un quelconque résultat politique, l’intelligence est stratège et dirige les efforts pour leur faire produire les bons effets au bon moment.
Il ne sert à rien de chercher à justifier son opinion en opposant une force symétrique. Les dialogues de sourds n’ont jamais conduit qu’à l’escalade, à la folie et à l’irréparable.
Cessons de réagir par l’émotionnel, et servons nous de la faculté de discernement dont nous avons été dotés. Examinons les faits, les éléments matériels, les preuves, autant d’objets à examiner par le prisme de notre libre-arbitre, seul capable de réfuter les discours idéologiques aussi vides que ronflants, mais surtout dangereux et délétères, et entrons en croisade envers les mots valises qui nous conduisent là où n’avons jamais demandé à aller.
Ré-approprions nous le raisonnement, la liberté de penser et le débat public.
La CEDH a eu l’occasion de juger que la liberté d’expression vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent. Il en va du respect du pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels, il n’est pas de société démocratique.
Il ne saurait y avoir des opinions acceptables et d’autres non.
Et une telle liberté ne saurait être à géométrie variable, ou à sens unique, qu’il s’agisse d’une relation interpersonnelle, d’une relation commerciale, ou de relations internationales.
Sinon, attention au retour de boomerang.
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Si vous découvrez ce billet, je m’appelle Sabrina Toscani, avocat en droit des affaires à l’international. J’écris sur des problèmes à l’intersection du droit, de la géopolitique et du risque commercial. Parce que si l’État de droit n’a pas de signification spécifique, il cesse d’être utile en tant que concept.