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Biens à double usage

Règlementation des biens à double usage

C’est l’histoire d’un dirigeant d’une société qui conçoit des #logiciels et met à disposition des techniciens pour accompagner ses acheteurs-utilisateurs. Il fait face à une difficulté dans une de ses opérations export.

Le service des biens à double usage (SDBU) du Ministère de l’économie lui a notifié un refus à la demande de délivrance d’une licence individuelle d’#exportation. La demande de licence concerne un lot de pièces comportant des circuits intégrés à destination d’un de ses clients historiques en Russie

https://sbdu.entreprises.gouv.fr/fr/reglementation-des-biens-double-usage/reglement-europeen

Alors que le contrat international entre cette société française et sa cliente datait d’avant les mesures restrictives, seul un acompte avait été versé à la commande. Le solde représente 70% du prix, restant à régler à la livraison des circuits.

Que peut faire la société française qui se retrouve avec un stock de produits potentiellement invendables, et les 2/3 de sa facture impayée?

La notification du SBDU motive sa décision au plus simple appareil, à savoir un renvoi à l’article 15.1 b du règlement 2021/821 qui dispose que:

« Pour décider de l’octroi d’une autorisation, ou encore pour interdire un transit, au titre du présent règlement, les États membres prennent en considération tous les éléments pertinents, et notamment: 

b. (…) leurs obligations découlant des sanctions imposées par une décision ou par une position commune adoptée par le Conseil ou par une décision de l’OSCE ou par une résolution contraignante du Conseil de sécurité des Nations unies. » 

La motivation ne donne aucune indication sur le point de savoir si le produit en question tombe effectivement dans le champ d’application des interdictions prévues par le Règlement ni en quoi le produit ne répondrait pas à la qualification des exceptions et dérogations aux interdictions.

Refus de licence individuelle d’exportation d’un bien qualifié à double usage

Le refus de licence a été pris en application du Règlement 2021/821 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2021. Celui-ci instituant un régime de l’Union du contrôle des exportations, du courtage, de l’assistance technique, du transit et des transferts en ce qui concerne les biens à double usage, prévoit des catégories qui couvrent une multitudes de produits, composants et services:

Matières spéciales et équipements apparentés, Traitement des matériaux, Électronique, Calculateurs, Télécommunications et « sécurité de l’information », Capteurs et laser, Navigation et aéro-électronique, Marine, Aérospatiale et propulsion.

Le spectre est large et peut concerner pléthore de biens à l’export, qu’ils s’agisse de drones, de composants électroniques, en passant par des plantes.

Définition des biens à double usage

En effet, l’article 2 du règlement 2021/821 définit les biens à double usage comme étant les produits, y compris les logiciels et les technologies, susceptibles d’avoir une utilisation tant civile que militaire.

Ils incluent les biens susceptibles d’être utilisés aux fins de la conception, de la mise au point, de la fabrication ou de l’utilisation d’armes nucléaires, chimiques ou biologiques ou de leurs vecteurs, y compris tous les biens qui peuvent à la fois être utilisés à des fins non explosives et intervenir de quelque manière que ce soit dans la fabrication d’armes nucléaires ou d’autres dispositifs nucléaires explosifs.

L’annexe I détaille les différentes catégories sur près de 400 pages.

C’est la décision (PESC) 2022/3271 du 25 février 2022 modifiant la décision 2014/512/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine, qui a remis la question des biens à double usage (BDU) sur le devant de la scène.

Ainsi, le Règlement UE 2022/328 du Conseil de l’UE du 25 février 2022 modifiant le règlement UE 833/2014 a listé un certain nombre d’interdictions et de mesures restrictives à l’exportation.

Nombreuses entreprises françaises familières de l’export control et des biens à double usages, déjà l’objet d’une règlementation touffue et complexe, sont prises dans un étau de problématiques généré par l’interconnexion des biens et services conçus et distribués globalement.

Caractéristiques techniques des biens à double usage

Ainsi, l’article 2 prévoit :

1. Il est interdit de vendre, de fournir, de transférer ou d’exporter, directement ou indirectement, des biens et des technologies à double usage, originaires ou non de l’Union, à toute personne physique ou morale, toute entité ou tout organisme en Russie ou aux fins d’une utilisation dans ce pays.

Il est interdit de:

  1. a) fournir une assistance technique, des services de courtage ou d’autres services en rapport avec les biens et technologies visés au paragraphe 1 et la fourniture, la fabrication, l’entretien et l’utilisation de ces biens et technologies,
  2. directement ou indirectement, à toute personne physique ou morale, toute entité ou tout organisme en Russie ou aux fins d’une utilisation dans ce pays;
  3. b) fournir un financement ou une aide financière en rapport avec les biens et technologies visés au paragraphe 1 à l’occasion de toute vente, toute fourniture, tout transfert ou toute exportation de ces biens et technologies, ou pour la fourniture d’une assistance technique, de services de courtage et d’autres services connexes, directement ou indirectement, à toute personne physique ou morale, toute entité ou tout organisme en Russie ou aux fins d’une utilisation dans ce pays. 

Exceptions aux interdictions de vente et fourniture des biens à double usage

Cependant, le texte prévoit des exceptions, non des moindres, en son article 3:

« sans préjudice des obligations d’autorisation visées dans le règlement (UE) 2021/821, les interdictions visées aux paragraphes 1 et 2 du présent article (2) ne s’appliquent pas à la vente, à la fourniture, au transfert ou à l’exportation de biens et technologies à double usage ni à la fourniture connexe d’une assistance technique et financière, à des fins non militaires et pour un utilisateur final non militaire, et destinés:

a) à des fins humanitaires, à des urgences sanitaires, à la prévention ou à l’atténuation à titre urgent d’un événement susceptible d’avoir des effets graves et importants sur la santé et la sécurité humaines ou sur l’environnement, ou en réaction à des catastrophes naturelles;

b) à des fins médicales ou pharmaceutiques;

c) à l’exportation temporaire d’articles destinés à être utilisés par des médias d’information;

d) à des mises à jour logicielles;

e) à une utilisation en tant que dispositifs de communication grand public;

f) à assurer la cybersécurité et la sécurité de l’information pour les personnes physiques et morales, les entités et les organismes en Russie, à l’exception de ses pouvoirs publics et des entreprises que ces derniers contrôlent directement ou indirectement;

ou g) à l’usage personnel des personnes physiques se rendant en Russie ou de leurs parents proches qui voyagent avec elles, et se limitant aux effets personnels, aux effets et objets mobiliers, aux véhicules ou aux outils commerciaux qui leur appartiennent et qui ne sont pas destinés à la vente.

Challenger le status quo

Un premier réflexe consiste à vérifier, en fonction des caractéristiques techniques du produit et de sa destination effective, de son usage, s’il pourrait entrer dans les exceptions prévues.

Deuxièmement, se pose la question des droits acquis au titre des contrats conclus avant l’entrée en vigueur des règlements, ou de contrats accessoires nécessaires à l’exécution de tels contrats. Il faut donc challenger tout traitement et application automatique d’un texte général à une situation particulière.

Enfin, il convient d’examiner si et dans quelle mesure les mesures d’interdiction porteraient atteinte aux droits fondamentaux, notamment de propriété, non seulement aux personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives mais aussi des tiers, comme les entreprises qui se trouvent prises entre le marteau et l’enclume.

Autant de conditions qui doivent être examinées afin de sauvegarder les droits des entreprises et les défendre.

Quels recours en cas de refus de licence à l’export?

Au niveau national

Mais il faut agir vite.

Au niveau national, les recours en excès de pouvoir contre les mesures restrictives relèvent de la compétence des juridictions administratives.

Tout d’abord en exerçant les recours ouverts contre les décisions du SDBU, au niveau national:

Le recours gracieux (délai deux mois, facultatif), le recours hiérarchique (délai deux mois, facultatif) et le recours contentieux (juridictions administratives, délai deux mois)

Le contrôle juridictionnel porte sur le respect des règles de compétence, la motivation de la décision telle qu’elle a été notifiée aux personnes concernées, les modalités de communication de la mesure aux personnes ou entités désignées, l’existence d’un contrôle juridictionnel effectif (V. par ex. : TA de Paris, 21 oct. 2013, n° 1216525/7-1, M. X et Assoc. Y. – , Inédit au recueil Lebon).

Sur le fond, les tribunaux contrôlent aussi les motifs de la désignation et la proportionnalité de la mesure au regard de ses objectifs.

Renvoi préjudiciel

Par ailleurs, la décision refusant la délivrance de la licence individuelle a été prise en application du règlement 2021/821 du Parlement européen et du Conseil http://data.europa.eu/eli/reg/2021/821/oj

A ce titre, cet acte peut faire l’objet de questionnements tant sur l’interprétation de ses dispositions que sur l’application qui peut en être donnée par les autorités françaises.

C’est pourquoi, à l’occasion d’une instance devant une juridiction de l’ordre judiciaire ou administratif, peut être élevée une question préjudicielle au magistrat saisi de l’affaire, qui pourra décider de soumettre l’interprétation de l’acte à la Cour de Justice de la Communauté Européenne.

Si toutefois le recours est introduit dans les temps.

L’Article 263, sixième alinéa TFUE prévoit: « Les recours prévus au présent article doivent être formés dans un délai de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l’acte, de sa notification au requérant ou, à défaut, du jour où celui- ci en a eu connaissance. » 

Ainsi, la CJUE est compétente pour se prononcer :

  • sur l’interprétation des traités,
  • sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union. 

Cette démarche n’est donc pas un recours contentieux, mais peut contribuer à une issue favorable du recours judiciaire ou administratif en cours au niveau national.

Recours contentieux au niveau européen

Par ailleurs, les recours contentieux contre les mesures européennes relèvent de la compétence du Tribunal de l’Union Européenne, dont les jugements peuvent faire l’objet d’un recours devant la CJUE.

Les recours contre les mesures de gel et plus généralement les sanctions économiques ciblées sont aussi ouverts aux tiers non directement désignés sur les listes de gel mais impactés par des régimes de sanctions (V. en ce sens, CJCE, 30 juill. 1996, aff. C-84/95, dite « arrêt Bosphorus » : Rec. CJCE 1996, I, p. 3953. – Et CEDH, 30 juin 2005, n° 45036/98 : JCP A 2005, 1311, obs. D. Szymczak).

Plus généralement, peuvent être contestés des actes en matière de concurrence, marchés publics, aides d’Etat, accès aux documents (Règlement 1049/2001), mesures restrictives, politique économique et monétaire.

Ainsi, l’Article 256(1) TFUE (& Article 51 Statut de la CJUE) prévoit:

« Le Tribunal est compétent pour connaître en première instance des recours visés aux articles 263, 265, 268, 270 et 272, à l’exception de ceux qui sont attribués à un tribunal spécialisé créé en application de l’article 257 et de ceux que le statut réserve à la Cour de justice. Le statut peut prévoir que le Tribunal est compétent pour d’autres catégories de recours. » 

Article 263, première alinéa TFUE:

« La Cour de justice de l’Union européenne contrôle la légalité des actes législatifs, des actes du Conseil, de la Commission et de la Banque centrale européenne, autres que les recommandations et les avis, et des actes du Parlement européen et du Conseil européen destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers. Elle contrôle aussi la légalité des actes des organes ou organismes de l’Union destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers. » 

Ainsi il doit s’agir d’actes produisant des effets juridiques. Mais pas d’actes préparatoires, d’actes purement confirmatifs ou d’actes de nature contractuelle.

Et au niveau international?

Il n’est pas exclu qu’un litige de cette nature soit porté devant un Tribunal arbitral si, comme dans le cas de la société précitée, le contrat international prévoit une clause compromissoire revoyant à l’arbitrage en cas de litige. Mais l’objet ne sera pas la légalité de l’acte à l’origine de la mesure restrictive. Elle pourrait en revanche être mise en avant pour invoquer la force majeure ou l’exception d’inexécution, ou encore son interprétation comme vu précédemment.

Par ailleurs, s’il existe un Traité bilatéral d’investissement entre les pays des parties contractantes, la partie qui y aurait intérêt pourrait demander des comptes à l’Etat qu’elle considérerait à l’origine de violation d’obligations contractées en vertu du Traité, qui lui serait préjudiciable. En effet, en matière d’arbitrage d’investissement, une partie dont le pays est signataire d’un Traité bilatéral peut par exemple invoquer la compétence spéciale du CIRDI, s’il est ressortissant d’un Etat ayant ratifié la convention CIRDI (https://icsid.worldbank.org/fr/services/arbitrage).

L’on pourrait pressentir qu’une sentence qui condamnerait un Etat membre de l’UE à réparer le préjudice économique subi par un investisseur dont le pays est lié par un TBI du fait d’une sanction ne serait pas exéquaturée par une juridiction française qui pourrait consider qu’elle n’est pas conforme à son interprétation de l’ ordre public international. Mais la reconnaissance d’une telle sentence pourrait recevoir un autre accueil en dehors de l’UE.

Risque pays : anticiper, préparer, ajuster

La #SupplyChain est mise à rude épreuve, d’un bout à l’autre. Les risques du marché, le risque commercial et le risque opérationnel sont consubstanciels à l’activité export. Mais rendre sa chaine d’approvisionnement plus résiliente, c’est possible et ça se prépare.

Le #risque pays est avant tout un risque financier qu’il convient d’encadrer, d’assurer ou de transférer.

Par la circulation de l’information stratégique d’abord. Par la structuration juridique et assurantielle des projets et des opérations, bien sûr. Et surtout, par la coopération des parties prenantes pour dépasser les freins et oeuvrer ensemble à les transformer en moteur de développement et de résolutions de problématiques.qui