Ou comment les banques marchent sur la tête des clients, particuliers ET entreprises
Des auteurs avaient alerté sur la complexité de la détermination du taux effectif global il y a déjà plus de vingt ans (*A. Brunet, « Le TEG, un taux d’embrouille généralisé ? », in Mélanges en l’honneur d’Élie Alfandari, 2000, Paris, Dalloz, p. 231).
Les banques sont de plus en plus souvent sanctionnées pour des pratiques commerciales trompeuses.
« Quand donc s’achèvera, où donc s’arrêtera, rendormie, l’ardeur d’Atè, l’Egareuse »?
C’est la question posée par le coryphée, le chef de chœur dans la tragédie et la comédie grecque antique.
Fille d’iris, la Discorde, selon Hésiode (Théogonie, vers 230), ou née de la volonté de Zeus selon Homère (Iliade, XIX, vers 91), Atè est une divinité redoutable qui personnifie l’erreur, l’égarement : frappant les humains au hasard, dans n’importe quelle circonstance, « l’Égareuse » les pousse à faire leur propre malheur.
Elle a égaré Zeus en personne, présenté comme pourtant supérieur aux hommes et aux dieux. Dans Le Banquet de Platon, il est rapporté que : « Homère dit d’Atè qu’elle est déesse et délicate, ou du moins que ses pieds sont délicats : Elle a des pieds délicats, dit-il ; car elle ne touche point le sol, mais elle marche sur les têtes des hommes. »
Agamemnon nous enseigne comment la déesse de l’erreur procède pour arriver à ses fins: « Souvent les Achéens m’ont accusé, mais ce n’est pas moi qui suis coupable ; c’est Zeus et la Moira (la “portion” qui est assignée à chacun) et l’Érinys (l’exécutrice) habitant les ténèbres qui ont mis dans mon esprit une Atè farouche le jour où j’ai dépossédé Achille de sa part. Mais que pouvais-je faire ?«
La force de l’inversion accusatoire
Qui ne s’est pas dit, face aux frais bancaires et autres commissions, prélevés d’autorité par les établissements bancaires: mais que puis-je faire ?
Qui, après la colère passée, n’a pas ressenti une pointe de culpabilité en son for intérieur, sachant que des éléments extérieurs sont à l’oeuvre, mais que, probablement, cela devait arriver: « j’aurais dû m’en occuper avant… si je n’avais pas été à découvert, cela ne serait pas arrivé … », etc..
C’est là que se loge la perversité d’Atè: le moment d’égarement qu’elle engendre finit par susciter chez sa victime un sentiment de culpabilité morale, qui par la suite sera sentie comme une faute devant entraîner une punition.
Comme soufflée par une volonté extérieure, « l’Égareuse » nous frappe, « aliénés » par sa force irrationnelle, et nous rend impuissants, privés d’esprit critique. Et c’est alors que le danger guette, puisque faute d’esprit critique, nous devenons sujets à l’obstination, à l’imprudence, au renoncement, voire enclins à nous précipiter dans le cercle vicieux de la chute inexorable.
Ainsi la faute d’Agamemnon (l’arrogance) a-t-elle provoqué la colère d’Achille ; la faute d’Achille (son obstination rancunière) entraîne la mort de Patrocle, lui-même victime de son imprudence.
La faute des clients des banques serait-elle le manque de rigueur ? c’est ce que leur fait croire Atè.
Combien d’entreprises, déjà en difficulté de trésorerie, ont laissé filé des sommes extravagantes … et combien ne s’en sont pas relevées?
Atè est légère, communique, charme, mais elle marche sur la tête des hommes.
Des arrêts de la Cour de cassation, depuis 2012, ont précisé quels frais devaient être intégrés dans les calculs par les banques, et plus dernièrement en 2021, (https://www.courdecassation.fr/decision/618b6ee9e256c86ccc1b50a1), puis le 31 mai 2023, ou encore la décision de la cour d’appel de Paris du 28 novembre 2023 (Helvetimmo).
Ces pratiques peuvent porter sur tout type d’activité bancaire, qu’elle concerne les comptes, les crédits ou les moyens de paiement.
Vous avez dit « justice négociée » ?
La Société Générale s’est vue infligée une amende transactionnelle de 4,5 millions d’euros, assortie d’une publication pendant 30 jours sur son site internet d’un bandeau faisant mention de cette sanction et de l’accusation de pratique commerciale trompeuse pour avoir perçu des commissions d’intervention injustifiées (DGCCRF, amende transactionnelle, 22 janv. 2024, Société Générale).
Une enquête menée par la Direction départementale de la protection des populations des Hauts-de-Seine (DDPP 92) entre avril 2019 et janvier 2021 avait révélé qu’un établissement du groupe Société Générale pratiquait des frais bancaires non justifiés dans le cadre de la facturation de commissions d’interventions prélevées au client en cas d’irrégularité de fonctionnement de son compte bancaire.
Ces commissions d’intervention constituent des frais bancaires perçus par la banque lorsqu’une opération de débit place le compte en situation irrégulière. Il s’agit, le plus souvent, de paiements qui aboutissent à un découvert bancaire non autorisé ou supérieur au découvert autorisé. Ces commissions rémunèrent la banque en échange de l’analyse de la situation du titulaire du compte et de l’opportunité d’autoriser le paiement.
L’enquête a révélé que le montant du produit de l’infraction sur la période de prévention retenue était de près de 3,5 millions d’euros.
Comme la pratique le permet, le parquet a également pris en compte, pour déterminer le niveau de l’amende, « la coopération de la banque et l’arrêt de la pratique frauduleuse, comme le remboursement intégral des clients ».
Rendre justice, c’est normalement rendre à chacun son dû. Vraiment ?
Comment justifier, sous couvert d’obtenir une réponse « répressive » plus rapide que la voie pénale classique, de priver les victimes d’abus de la possibilité d’obtenir des dommages et intérêts pour le préjudice qu’elles estiment avoir subi?
Certes cela leur évite de se constituer parties civiles dans le cadre pénal… mais cela évite surtout à l’établissement fraudeur de limiter les dégâts.
Mais il y a pire. C’est que cela continu.
La DGCCRF enquête et confirme les anomalies
Le 4 mars dernier, la DGCCRF a communiqué les résultats de son enquête sur les frais bancaires liés aux irrégularités de fonctionnement des comptes bancaires ou aux incidents de paiements. Au total, 100 établissements ont été contrôlés: dépassement du découvert autorisé, rejet de chèque, de virement ou de prélèvement…
Des pratiques commerciales trompeuses ont été constatées consistant à contourner les plafonds règlementaires de frais et commissions d’intervention mais également plusieurs manquements portant sur l’information du public et des clients sur les prix.
17 établissements ont été épinglés pour non-respect de la réglementation, entraînant 12 avertissements et 6 procès-verbaux, pénaux ou administratifs.
Les infractions concernent principalement :
✅ La facturation de commissions d’intervention indues, même en l’absence d’irrégularité réelle sur le compte
✅ Le dépassement des plafonds réglementaires (8€/opération et 80€/mois ; 4€/opération et 20€/mois pour les clients fragiles)
✅ Le double prélèvement injustifié de commissions d’intervention et de frais de rejet pour un même incident
✅ L’absence d’information claire sur les tarifs et offres groupées
Pour en savoir plus: https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/laction-de-la-dgccrf/les-enquetes/frais-bancaires-des-manquements-qui-persistent-en-cas
Vigilance à l’occasion des opérations d’achat et d’emprunt
Sur les frais d’information de la caution
Depuis le 1er janvier 2022, l’information annuelle de la caution intègre les dispositions du droit civil, l’article 2302 du Code civil reprenant cette exigence d’information à son alinéa 1er, tout en ajoutant à son alinéa 2 que « le créancier professionnel est tenu, à ses frais et sous la même sanction, de rappeler à la caution personne physique le terme de son engagement ou, si le cautionnement est à durée indéterminée, sa faculté de résiliation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci peut être exercée » et à son alinéa 3 que l’article s’applique également « au cautionnement souscrit par une personne morale envers un établissement de crédit ou une société de financement en garantie d’un concours financier accordée à une entreprise ».
Il s’ensuit, que depuis le 1er janvier 2022, l’établissement bancaire est tenu des frais d’information annuelle de la caution.
Sur les frais notariés
Il appartient à l’établissement bancaire de prouver que ces frais n’étaient pas déterminables à la date d’établissement de l’acte pour ne pas avoir à les intégrer dans le calcul du taux effectif global.
Dès lors qu’ils sont déterminables, les frais de l’acte notarié en lien avec le prêt et la prise de garantie doivent être intégrés dans l’assiette du calcul.
L’article L. 314-1 du Code de la consommation disposant que le calcul du taux doit intégrer « les frais, les taxes, les commissions ou rémunérations de toute nature (…) dont le montant peut être déterminé ».
Et l’article R. 314-5 du Code de la consommation qui dispose que ne sont pas compris dans ce taux les frais liés à l’acquisition des immeubles mentionnés au a, du 1°, de l’article L. 313-1 du Code de la consommation tels que les taxes y afférentes ou les frais d’actes notariés. Il en résulte que les frais d’actes notariés en lien avec l’acquisition d’un bien immobilier à usage d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation doivent être exclus du calcul du taux effectif global.
Les frais de l’acte notarié étant liés à l’acte de prêt et à la prise de garanties, ils devaient intégrer le calcul du taux dès lors qu’il étaient déterminables. La jurisprudence dit que cette détermination incombe au prêteur et non à l’emprunteur, et qu’elle doit s’effectuer à la date de l’acte notarié et non à celle de l’offre de prêt acceptée. La preuve incombe au prêteur et que la détermination doit se faire à la date de l’acte.
Ce que cela signifie pour les entreprises
Ces pratiques ne concernent pas que les particuliers : les PME et ETI ayant recours à des découverts bancaires ou facilités de caisse peuvent payer des frais supérieurs au taux d’usure légal lorsque ces frais sont intégrés dans le calcul du TEG réel.
Or, un TEG supérieur au taux contractuel ou au taux d’usure peut constituer une infraction ouvrant droit à restitution partielle ou totale des frais et intérêts indûment perçus.
Que faire ?
Il est essentiel de recalculer le TEG en intégrant tous les frais liés au découvert, notamment les commissions d’intervention, pour s’assurer que la banque respecte les taux réglementaires.
✔ Reconstituer les périodes de découvert
✔ Calculer la durée moyenne et le montant du découvert utilisé
✔ Intégrer les commissions d’intervention et frais annexes dans le calcul du TEG réel
✔ Comparer ce taux au taux contractuel et au taux d’usure en vigueur
✔ Identifier d’éventuelles irrégularités bancaires exploitables
Prendre de la hauteur
En remontant la chaîne des causes de la défaillance des entreprises, on identifie plus souvent que de raison l’engrenage des frais bancaires. Les établissements financiers étant considérés comme tout-puissants, les chefs d’entreprise n’osent pas toujours répliquer, et encore moins demander des comptes à leur banquier, préoccupés par leurs impératifs quotidiens et souvent démunis face au rouleau compresseur désincarné que représente la Banque.
Pourquoi le scandale continu ?
C’est la force du langage de l’inversion accusatoire.
“Jupiter rend fous ceux qu’il veut perdre”.
À considérer ce qui arrive et sans savoir pourquoi cela arrive, il faut bien admettre la Nécessité (Anakè) qui a fait que cela arrive !
Même les Dieux doivent se soumettre à Anakè : ainsi Zeus, qui a toujours manifesté sa préférence pour Troie, a-t-il pu retarder le désastre, mais il ne peut empêcher “sa balance d’or” de faire plonger le destin d’Hector dans l’Hadès.
Et l’Érinye, l’exécutrice qui veille à que nul ne transgresse les lois de sa nature et l’ordre du cosmos, coupe la parole à Xanthos, le cheval d’Achille, parce qu’il n’appartient pas à un cheval de parler.
A la question « Quand donc s’achèvera, où donc s’arrêtera, rendormie, l’ardeur de l’Égareuse ? » nous répondrons: par le réarmement de l’esprit critique, le discernement qui fait partie des puissances de l’âme de tout un chacun, par l’intelligence et la volonté, qui doit lui être ordonnée.