Les Joint Venture (JV) sont fréquemment utilisées dans l’industrie pharmaceutique pour servir des objectifs commerciaux divers. Qu’il s’agisse de développer conjointement un marché pour la distribution de certains produits, conduire des efforts de recherche en commun et/ou des essais cliniques, ou encore pour créer des synergies au bénéfice des associés de la structure commune.
Quels sont les points essentiels à prendre en compte dans un projet de Joint Venture?
La Joint Venture est un accord par lequel plusieurs parties s’accordent sur la mise en commun de leurs ressources afin d’accomplir un projet spécifique. Elle est caractérisée par le partage de la propriété, des résultats mais aussi des risques.
La raison d’être de la Joint Venture peut varier entre joindre des efforts pour servir un projet de recherche. Mais aussi des actions marketing ou encore des tâches scientifiques ou commerciales.
Les manières de coopérer sont variées. Il convient de trouver la forme optimale de la coopération en fonction du type de structure. Mais la Joint Venture n’est pas le seul choix possible.
Accord de coopération
La coopération peut tout d’abord commencer en dehors de toute entité et sur la base d’un accord de coopération.
Les partenaires peuvent choisir un contrat de distribution. Par exemple une société offre ses produits à une autre société à fin d’en assurer le marketing et la distribution physique.
Une autre forme de coopération peut être l’accord de licence. Une partie autorise l’autre à utiliser ses marques, ses brevets, et dans certains cas l’utilisation de son savoir-faire en contrepartie de commissions dans un cadre d’espace et de temps déterminé.
Les exigences sont plus importantes dans ce type de contrat qu’un simple accord de distribution puisque les risques encourus sont plus étendus.
Une autre forme de coopération est donc la Joint Venture. Elle marque un engagement encore plus poussé entre les parties. Non seulement il y a un engagement contractuel entre les parties mais aussi un investissement en commun. Cela donnera lieu à la structuration d’une entité juridique avec une personnalité morale indépendante .
Pourquoi envisager une joint venture ?
Les raisons sont multiples. La principale est celle d’une coopération internationale requérant un investissement au sein d’une structure étrangère. En effet, la Joint Venture permet un accès immédiat au savoir-faire local et aux ressources locales et ainsi d’accélérer l’accessibilité du produit à un marché.
Coopération internationale
En s’engageant avec un partenaire local, l’investisseur bénéficiera d’un accès immédiat au savoir-faire local. Par exemple, afin de faciliter le développement d’un produit biologique, les circonstances spécifiques d’un pays seront prises en considération de manière adéquate sur un marché déterminé.
Une autre motivation réside dans l’accès immédiat aux canaux de distribution locaux. Ceci permet à la structure d’accéder beaucoup plus vite à des canaux de distribution qui auront mis plusieurs années à être établis en amont. En effet, ceci permettra de capitaliser sur la partie développée en amont par la confrontation aux besoins du terrain. Ceci est une phase essentielle, mais longue.
Mutualisation des risques
Le recours à la Joint Venture permet aussi dans une certaine mesure de diminuer le risque encouru puisque les risques tant financier que capitalistique sont répartis entre les associés. En outre, la structure a sa propre responsabilité légale statutaire.
Accélérateur d’opportunité
Enfin, la Joint Venture peut être utilisée quand un investisseur prévoit d’acquérir une tierce société. La société investisseur aura ainsi plus de garantie sur la continuité du management de la compagnie existante. Mais aussi l’opportunité de se familiariser avec les spécificités de la compagnie cible. Ce modus operandi permet de mettre à jour des points d’achoppement tant au niveau opérationnel que financier, qui permettent d’ajuster des éléments essentiels relatifs à l’évaluation de la société cible.
Points juridiques à anticiper dans une projet de Joint Venture
Comme pour une acquisition, il est important de procéder à une Due Diligence du partenaire. L’enjeu est d’apprécier sa réelle capacité à fournir un savoir-faire local ainsi que les objectifs tant à moyen terme qu’à long terme.
Indicateurs clés de performance
L’enjeu est de s’assurer d’un partenaire local qui soit réellement actif pour justifier l’investissement dans un processus de coopération.
Des indicateurs clés de performance qualitatifs et quantitatifs doivent être mis en évidence en amont. Les parties doivent convenir des objectifs à atteindre par la Joint Venture. De cette manière, les parties prenantes peuvent se référer à des bases solides afin d’ être en capacité de mesurer et de vérifier les points de réussite et de vigilance à avoir à l’esprit.
Il conviendra de veiller à définir dans des termes très concrets les points d’étape (milestones). C’est-à-dire ce que la Joint Venture doit réaliser précisément.
Mais cela n’est pas suffisant. Les litiges nés du prétendu non-respect des milestones sont légions.
Effet majeur recherché
Un autre point important : la manière dont les objectifs prévus devront être mis en œuvre. C’est-à-dire comment les objectifs commerciaux devront être atteints et selon quelles modalités précises. En d’autres termes, comment et par quel moyens concrets, matériels et humains les objectifs commerciaux et l’effet majeur recherché du business seront atteints.
Cela revient à définir la stratégie d’entreprise de la Joint Venture elle-même.
Parfois, objectifs et stratégie ne sont pas clairement séparés et peuvent avoir des intrications complexes. Ceci peut conduire à les confondre alors qu’ils n’ont pas forcément les mêmes enjeux.
Anticipation et négociation raisonnée
Ceci est un point déterminant pour éviter de prendre des décisions sur des bases erronées.
Enfin un point crucial sera l’entente des parties sur la détermination du partage des pertes et profits.
Comme dans tout rapprochement, les parties ont la volonté d’apparaître sous leur meilleur jour. Et de la manière la plus positive possible pour développer ensemble leur projet. Cependant elles ont intérêt à prévoir de manière réaliste les conditions d’une éventuelle séparation.
Il est donc préférable de prévoir tous les cas de figure possibles afin d’anticiper les stratégies de sortie. Celles-ci devraient être clairement discutées et déterminées en amont. L’enjeu est d’éviter les difficultés ultérieures en cas de séparation dont les modalités n’auraient pas été prévues. En effet ceci peut aboutir à des situations très conflictuelles et contreproductives.
Les points relatifs à la propriété intellectuelle, aux avoirs de la société, au devenir des employés et/ou encore aux clauses de non concurrence sont des sujets qui doivent être discuté en amont d’une séparation. De même, que la valorisation des parts.
Le facteur humain à l’occasion d’une Joint Venture
Le succès de la JV vais dépendra aussi de la capacité des responsables à porter attention aux ressources humaines. Notamment aux compétences qui seraient attendues des employés clés de la structure. Car c’est par eux que passera la réalisation de l’atteinte des objectifs business et des Milestones.
Interculturel
On sait combien les compétences interculturelles et la capacité à s’adapter à l’environnement sont des facteurs clés de la réussite d’un partenariat multiculturel.
Au-delà de la langue qui peut être parlée par tous comme l’anglais, la question de la culture du groupe est un travail à part entière.
La question d’une cohérence dans la grille des salaires sera un autre un point important, surtout lorsque le partenariat sera constitué de parties prenantes venant de pays différents.
Un autre facteur de succès sera la mise en place de canaux de communication institutionnalisée entre la Joint Venture et les sociétés associées sous cette entité.
La rédaction de l’accord de Joint Venture
Les parties devront choisir quel système judiciaire sera applicable à la structure car cela aura un impact direct sur l’accord à signer.
Les accords régis par le système de Common Law ne sont pas rédigés de la même manière que ceux régis par un système de droit civil.
Ce point peut être l’objet de discussions en amont au sein d’une lettre d’intention ou d’un « mémorandum of understanding ».
Mais il est souvent préférable de rentrer dans le vif du sujet au sein de l’accord de Joint Venture afin de ne pas perdre de temps dans la discussion préalable.
Anticiper, préparer, adapter
Un « term sheet » préalable peut contenir les données économiques clés et les chiffres de performance attendue afin de soutenir l’avancée des négociations.
Le préambule sera à ne pas négliger puisqu’il devra contenir un résumé des points essentiels attendus de la coopération. Mais aussi des fondations de la JV qui seront d’autant plus utiles à l’aune d’un éventuel désaccord ultérieur.
La seule lecture du préambule doit rendre clair pour un tiers lecteur qui ne connaît pas les relations entre les parties et leurs projets. Pour quelle raison les parties ont voulu s’engager au départ dans une structure commune? quel intérêt économique avaient elles en tête justifiant de former une Joint Venture?
Un autre point important au regard de l’engagement financier des parties et de la répartition dans le capital : il est préconisé d’éviter un partage à 50 / 50 impliquant que les parties aient exactement le même poids en termes de droits de vote, ce qui peut conduire à un blocage de la société en cas de désaccord.
Il est donc conseillé qu’une des deux parties détiennent la majorité des parts, comme 50,1 % afin d’éviter tout blocage irrémédiable qui conduirait à la dissolution de la JV.
Sur la contribution en nature pouvant être apportée par les parties au sein de la joint Venture
Ces contributions doivent être clarifiées et évaluées si elles existent. Pour plus d’efficacité, il est recommandé qu’un expert soit nommé à fin d’apporter des valeurs qui ne soient pas contestées ultérieurement entre les parties. Elles pourront ainsi s’accorder sur le fait que la valeur sera validée par les deux.
Les parties peuvent aussi s’entendre sur celles des activités qui devront être soumises à l’approbation préalable des associés.
Il peut aussi être prévu que le président ait une voix prépondérante au conseil d’administration de la société pour éviter les blocages à ce titre.
La nomination d’un conseil d’administration est crucial. Il est préconisé de désigner des employés expérimentés et reconnus au sein des structures associées. Notamment la direction financière et ressources humaines.
Comment limiter l’impact en cas de désaccord entre les parties prenantes à la Joint Venture
Il sera essentiel que le contrat prévoit les modalités de vote requises pour chaque type de décision. C’est-à-dire majorité simple, qualifiée ou à l’unanimité.
Processus de décision
Il est fortement recommandé aux parties prenantes d’être au clair sur les processus de décision. Ils doivent être non seulement clairement établis mais aussi mis en œuvre dans le quotidien. Ceci peut requérir un travail de groupe préalable pour poser les bases d’une communication efficiente entre les parties prenantes.
Par ailleurs, afin de générer des indicateurs clairs et quantifiables de la performance de la Joint Venture, il est fortement conseillé de s’accorder sur des milestones économiques. Ceci tant d’un point de vue qualitatif que quantitatif, soit dans l’accord de JV ou dans un avenant au contrat. C’est en effet la seule manière d’avoir une référence de mesure pour la performance du partenariat constitué.
Résolution des litiges
Il devra être aussi anticipé la procédure à suivre en cas de litige entre les parties. On ne recommandera jamais assez que le contrat contienne une provision quant à un mécanisme détaillé de résolution des litiges. Afin d’éviter que chaque litige fasse l’objet d’une saisine d’un tribunal judiciaire ou arbitral pour être tranché, les parties peuvent prévoir un comité d’orientation aux fins de résolution des litiges. Un tel mécanisme peut s’avérer très aidant.
Ce comité sera composé de délégués des deux parties partenaires qui ne sont pas impliqués dans les affaires quotidiennes de la joint-venture et qui sauront garder une certaine distance avec l’activité quotidienne de la structure.
Ce comité pourrait se réunir régulièrement ou du moins quand les sujets critiques doivent être discutés entre les associés de la JV.
Ces parties seront surement mieux placées pour regarder avec un certain recul les problématiques qui leur seront apportées.
Un processus de médiation peut aussi être envisagé, ainsi qu’une procédure d’arbitrage si les parties souhaitent que le détail d’une affaire ne soit pas porté sur la place publique.
Gérer la sortie de la Joint Venture
De même les modalités d’un règlement litigieux en cas de liquidation de la structure devrait être prévu au contrat de JV.
À ce titre il peut être prévu les modalités d’évaluation des parts au sein de la JV afin de faciliter la reprise et la vente de celles-ci par les associés et surtout comment le prix pourra être fixé en amont.
Ce mécanisme permet d’éviter des litiges sur l’évaluation des parts et sur la détermination de la procédure d’évaluation à suivre.
Le seul prérequis est que la procédure choisie soit transparente et fiable. Bien évidemment les paramètres doivent être acceptables pour les deux parties et qu’en cas de besoin les modalités puissent être vérifiées par un tiers extérieur et indépendant.
Les questions de propriété intellectuelle et notamment de produits consentis sous contrat de licence devront être prévus au contrat de JV.
En outre des clauses de non concurrence devront être rédigés avec précaution notamment sur le point de savoir comment un des partenaires peut être autorisé à faire concurrence au business de la JV.
Conflit de lois et conflits de compétence à l’occasion d’une joint Venture
Les parties devront s’interroger sur la loi applicable à leur contrat de joint venture. Mais aussi sur la juridiction compétente qui aurait à connaître des questions judiciaires auxquelles la structure pourrait être confrontée.
Ruptures des relations entre les partenaires de la Joint Venture
Nous citerons le cas d’une société pharmaceutique française qui avait créé une joint venture avec une société hollandaise. Cette dernière était en charge de la distribution du médicament sur plusieurs pays de l’Union Européenne. A l’occasion d’un litige de rupture de leurs relations, la question de savoir lequel du droit français et ou hollandais était applicable s’est posée. Ce point a donné lieu à un incident de procédure de plusieurs mois.
En l’espèce, les parties étaient aussi en désaccord sur le point de savoir si le litige qui les opposait devait être examiné par le tribunal arbitral visé au contrat cadre ou par le tribunal de commerce prévu un contrat de licence objet du litige.
Au final, les parties ont connu une bataille judiciaire de plusieurs années sans aborder le fond du litige. L’enjeu était de déterminer quelle était la juridiction compétente pour apprécier les fautes éventuellement commises et de la détermination d’un préjudice.
Contrat cadre et contrats d’application
Enfin il est fortement recommandé que tous les contrats soient signés concomitamment. Contrats d’application, contrat constitutif de la Joint Venture, y compris les contrats de licence. Ceci afin d’éviter qu’un désaccord ne puisse être élevé à l’occasion de la mise en œuvre d’un contrat d’application.
En effet, une telle situation s’est avérée dommageable pour une société de distribution d’un médicament qui s’était accordée avec une société titulaire de la propriété intellectuelle sur une molécule sur les objectifs à atteindre au sein d’un contrat cadre.
En revanche, des dispositions divergentes avaient été prises dans des contrats d’application, et notamment des contrats de service dont les critères de réalisation des objectifs n’étaient pas déterminés en cohérence avec le contrat cadre.
Les raisons de l’échec de certaines joint-venture
La principale et la plus fréquente raison semble être un défaut de communication efficace entre les parties prenantes.
- lorsque les objectifs ne sont pas précisément prévus par écrit mais seulement basés sur ce que les parties pensent avoir compris de leurs engagements. Les risques sont alors multipliés.
- lorsque les attentes des parties impliquées ne sont pas alignées au tout début du partenariat. Et qu’elles divergent au cours de la vie de la Joint Venture.
- lorsque l’une des parties s’interroge sur le point de savoir si elle a toujours besoin d’un partenaire. Et quel est son avantage financier à rester dans le partenariat.
Ce type de situation surgit notamment lorsque les premières difficultés ont été dépassées: le business se déroule de manière satisfaisante et le partenaire étranger a le sentiment de maîtriser toutes les spécificités du pays dans lequel ont été investis les efforts.
D’autres raisons peuvent enfin venir des cultures différentes des parties prenantes. Elles se traduisent le plus souvent dans des différences de rémunération et de programme d’intéressement aux bénéfices.
Transformer les risques de la joint venture en opportunité de croissance
En tout état de cause et indépendamment de la solidité du business model, la question de l’interculturel est majeure.
Non pris en considération, ou de manière superficielle, l’interculturel peut conduire à des situations fortement dommageables. Considéré dès le départ comme une opportunité, il peut être utilement transformé en levier de valeur et de croissance.
Quelle vision pour la Joint Venture ?
« Point de vent favorable pour celui qui ne sait où il veut aller ». Voir au delà des objectifs financiers et matériels immédiat est un enjeu stratégique. La JV est un moyen d’aller vers une fin. Celle ci devra être identifiée comme le but qui dépasse la somme des objectifs pris individuellement et comme le phare qui sert le collectif et donne du sens à l’action de chacun.
Les dirigeants doivent aussi être vigilants sur l’équilibre systémique de chaque entité dans le partenariat. Une Joint Venture créé un changement dans les systèmes respectifs pour créer un nouveau système dont les forces en présence devront s’ajuster au fil du temps. Le changement ne se décrète pas, il s’accompagne car c’est un processus. Par exemple, il faut être vigilant au fait que si les managers qui conduisent les affaires ne sont pas satisfaits de leur statut, notamment du fait d’une culture corporate différente et/ou au niveau rémunération. Cela peut s’avérer comme un point d’achoppement sur le long terme.
Communiquer, communiquer, communiquer
Enfin, le processus de décision est un sujet brûlant. Dans l’hypothèse où il n’y a pas d’accord clair sur la manière de décider au sein de la JV, les graines de la discorde sont semées. En effet, les hypothèses où les managers en charge de la conduite du partenariat n’ont pas de réelle responsabilité, ont souvent un impact négatif sur la motivation des parties concernées. Devant sans cesse aller chercher et obtenir réassurance auprès de leurs associés respectifs même pour des investissements minimaux, ceci aura . Le développement positif de la joint venture sur le long terme pourra en être gravement affecté.
Là aussi, ignoré, ou évoqué de manière purement formelle sans réel travail de fond, le processus de décision peut conduire à des situations bloquantes et/ou conflictuelles. Considéré dès le départ comme une chance, il peut être utilement transformé en levier de valeur et de confiance.