Dans mon métier, la réactivité est reconnue comme une qualité. Il est vrai que les entreprises sont souvent confrontées à des situations imprévues auxquelles il convient de remédier rapidement, à des obstacles à lever promptement, à des deals à clore pour … hier.
Pour autant, réactivité ne saurait se confondre avec précipitation, ni éclipser l’impérieuse nécessité de prendre le temps, aussi souvent que cela s’avère nécessaire, pour passer à l’action de manière efficiente.
En effet, combien de situations « urgentes » auraient pu être évitées si le temps requis avait été pris en amont pour penser une situation, cadrer les modalités, organiser la mise en œuvre, anticiper les éventuelles difficultés et aménager les espaces temps qui auraient permis d’éviter de se trouver « pris à la gorge ».
Mais attention, la préparation a ses limites. Notamment la recherche de la perfection. Mais aussi l’illusion du contrôle des Cygnes noirs. L’ubris de la toute puissance. Je ne retrouve pas l’auteur de cette phrase, qui me parait bien à propos: Incapable d’agir dans le présent, il était obnubilé par la maîtrise de l’avenir.
Ce que nous cherchons à faire, entrepreneurs, dirigeants, personnes en responsabilité, c’est agir dans l’ici et maintenant au service d’un futur souhaitable. Car ce que nous faisons maintenant définit d’ores et déjà le type de trajectoire qui nous conduira à un ailleurs et un plus tard. Si nous ne pouvons maitriser l’avenir, nous maitrisons ce qui dépend directement de nous.
Faire un pas de côté
Les arts martiaux nous apprennent que la réaction instinctive à la contrainte, par l’application d’une force symétriquement opposée, est rarement fructueuse. Si on lutte contre une force par la force opposée, c’est la plus importante qui mécaniquement l’emportera.
Que faire quand on n’a pas l’avantage de la force ? on active d’autres qualités, notamment le discernement qui nous aide à faire ce pas de côté qui peut donner l’avantage infime mais suffisant pour ne pas prendre de plein fouet la force contraire.
C’est en lâchant prise que l’on peut gagner en marge de manœuvre face à une situation nous apparaissant comme difficile ou bloquante.
Dans les affaires, même si cela peut paraitre a priori contre-intuitif, si l’on veut vraiment gagner du temps, il faut parfois “savoir en perdre” en faisant aussi ce pas de côté qui peut s’avérer très fécond.
La réflexion à porter sur la gestion contractuelle constitue un de ces pas de côtés tactiques.
Depuis la gestion des grands projets immobiliers et industriels, en passant par la traçabilité des relations commerciales pour déminer un potentiel contentieux, à la recherche de nouveaux relais de croissance ou de moyens de ne pas subir les affres de la guerre économique, penser et organiser ses relations contractuelles est un enjeu stratégique.
Savoir gérer son énergie
Et c’est on ne peut plus vrai en matière d’approvisionnement énergétique.
Mais quelles pistes de solutions s’ouvrent quand les entreprises françaises comprennent ne pas avoir la main sur de multiples facteurs pourtant déterminants ?
Nous avions précédemment évoqué les turbines Arabelle dont les brevets sont sous drapeau étranger. On a appris que les exportations d’uranium au Niger sont à l’arrêt (https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/07/10/uranium-la-filiale-d-orano-au-niger-en-grande-difficulte-financiere_6248347_3212.html)
Le 4 juillet dernier, la commission d’enquête sénatoriale a publié un rapport détaillant une série de recommandations visant à garantir des prix stables et abordables tout en soutenant une transition énergétique. Il réaffirme notamment « l’absolue nécessité d’une programmation de long terme sur l’énergie », la prolongation du parc nucléaire actuel et la construction de 14 EPR2 (https://www.sfen.org/rgn/enquete-sur-les-prix-de-lelectricite-de-la-pertinence-de-pousser-le-nucleaire/).
Tout cela dans un climat d’incertitude entretenu par la perspective des élections américaines.
Si j’étais une de ces entreprises qui ne veulent ne pas subir les conséquences de la guerre économique qui sévit, je prendrais le temps de m’organiser pour me libérer des marchés en investissant sur tout ce qui permet gagner marge de manœuvre et en indépendance.
C’est plus qu’une compétence technique. C »est un état d’esprit. Celui tant chéri par ceux pour qui l’indépendance est une des valeurs suprêmes. Certes, un trésor de guerre peut y contribuer. Mais l’indépendance existe sans trésor de guerre. Car c’est la part non négociable de la liberté. Celle que rien ne peut acheter.
Nombreux sont ceux qui vendent des solutions pour anticiper. Mais appliquent ils ces solutions, qui sont des produits destinés à la vente, à eux mêmes ? d’où parlent ils ? sont ils indépendants?
La souveraineté commence par soi-même.
La fin programmée de l’ARENH
La « rente nucléaire » devait être “partagée” de manière équitable entre les particuliers et les entreprises, par ce mécanisme censé favoriser une concurrence juste sur le marché de l’électricité et protéger les consommateurs français. Il arrive bientôt à échéance.
L’ARENH s’arrêtera à la fin 2025 et les conditions d’accès à l’énergie nucléaire historique française vont être chamboulées. Le dispositif qui le remplacera a été annoncé fin 2023 entre l’Etat et EDF, soumise à de fortes pressions d’investissements et de coûts fixes (maintenance et prolongation des centrales existantes, construction de nouveaux EPR…), sans que l’on sache vraiment à quoi s’en tenir.
Une chose est sûre, les entreprises ne sont pas près d’oublier les affres de la crise des marchés de l’énergie de 2022…
L’Etat envisage deux options : ( https://www.lemondedelenergie.com/quel-sera-le-dispositif-de-marche-apres-la-fin-de-larenh/2024/07/17/):
- Les Contrats d’Allocation de Production Nucléaire (CAPN) et les enchères : EDF sera probablement amenée à signer directement avec les industries électro-intensives des contrats de gros volumes et sur de longues durées. Alors qu’elles prévoiront une participation aux risques industriels d’EDF, les enchères devraient permettre l’achat anticipé d’électricité nucléaire.
Mais qu’en sera-t-il pour toutes les autres entreprises qui n’auront pas les mêmes moyens pour tirer leur épingle du jeu ? ce sera à celles qui auront « la grinta » nécessaire.
- Le Versement Universel Nucléaire (VUN) : plus d’obligation pour EDF de réserver une partie de sa production nucléaire (100 TWh/an) pour l’approvisionnement des clients des fournisseurs alternatifs, qui pourra vendre la totalité de sa production nucléaire sur les marchés. Si des bénéfices excédentaires devaient être dégagés, elle devra les redistribuer aux consommateurs français, quel que soit leur fournisseur. Sinon ? c’est l’Etat qui devrait mettre au pot…
C’est l’objet des Contracts for Difference
Le Parlement européen en mars dernier a voté la réforme du market design européen prévoyant leur mise en place.
C’est un mécanisme de soutien des investissements dans les actifs de production d’énergie décarbonée par les états membres, prévoyant à la fois un prix plafond et un prix plancher pour les producteurs qui vendent leur électricité sur le marché.
Mais les arbitrages entre plafond et plancher et l’intervention de l’Etat posent des questions intéressant le droit de la concurrence.
Si le calendrier et le dispositif final devraient être clarifiés d’ici la fin de l’année, les entreprises ne peuvent pas se permettre d’attendre jusque-là pour penser l’avenir, et encore moins la fin de l’ARENH.
C’est là tout l’intérêt de recourir à l’encadrement des relations par le droit et d’agir pour décider de la trajectoire à prendre.
Des solutions alternatives existent pour gagner en autonomie, notamment en diversifiant les sources d’approvisionnement et en pensant les contrats dans le temps long.
Qu’est-ce qu’un PPA ?
Un Power Purchase Agreement est un contrat à long terme conclu entre un acheteur d’énergie, généralement une entreprise, et un producteur d’énergie https://www.alterna-energie.fr/blog-article/pros-tout-savoir-sur-le-power-purchase-agreement-ppa#:~:text=Ce%20type%20de%20PPA%20permet,parler%20de%20Green%20corporate%20PPA..
Son principal objectif est de définir les termes et les conditions pour l’achat et la vente d’électricité sur une période prolongée, pouvant aller de 3 à 25 ans.
Ce type d’accord permettra de donner de la stabilité aux parties prenantes, l’acheteur ayant l’avantage de sécuriser un approvisionnement énergétique à un prix fixe, là où le producteur se verra garanti un revenu stable, favorisant ainsi les investissements dans des projets d’énergie renouvelable.
Différence entre le Corporate PPA et le Merchant PPA
Généralement, le Corporate PPA implique l’achat par une entreprise directement auprès d’un producteur, d’électricité produite sur place, sur le site même de l’entreprise (on-site), ou en investissant dans un projet énergétique externe (off-site).
Ce type de PPA permet aux entreprises d’atteindre leurs objectifs de durabilité tout en stabilisant les coûts énergétiques. Cela est applicable à l’énergie d’origine renouvelable.
Quant au Merchant PPA, il s’agit d’un accord entre un producteur et une entité tierce qui achète l’électricité pour la revente sur le marché de l’énergie, et ce faisant expose davantage le producteur aux fluctuations du marché, devant dépendant des prix du marché pour la revente de son électricité.
Les différents types de PPA
Le PPA « On-site », PPA « Off-site », PPA « Sleeved », PPA financier ou PPA virtuel : autant de modalités organisationnelles que de profils d’entreprises en fonction de sa localisation, sa configuration, ses ressources, sa capacité d’investissement, sa stratégie financière.
Comme tout contrat, le PPA ça se prépare et ça se pilote.
Les termes essentiels sont la durée, le prix de l’électricité, les modalités de livraison et les conditions de résiliation. Si l’approbation des autorités réglementaires vient dans un second temps, il faut y penser simultanément.
En outre, l’infrastructure nécessaire à la mise en place pour soutenir la production et la livraison de l’électricité doit faire l’objet d’une réflexion en amont. Cela peut inclure la construction de parcs éoliens, de centrales solaires, ou d’autres installations de production d’énergie renouvelable.
Pour viser l’efficience, c’est-à-dire la viabilité, la stabilité et la pérennité, un contrat doit être un instrument de gestion.
De même, le PPA devra faire l’objet d’une veille au long court pour en évaluer la pertinence au regard des fluctuations du marché et les changements pouvant s’avérer nécessaires pour répondre aux besoins énergétiques des parties et permettre les éventuels ajustements au contrat initial.
Etudier l’éligibilité, qualifier les besoins, contractualiser auprès des producteurs partenaires, et mettre en œuvre, c’est possible, cela se prépare et cela se pilote.
Prenez l’avantage
Toutes les parties devraient pouvoir tirer avantage de ce qu’a à offrir un contrat. Les accords gagnant-gagnant n’ont que rarement besoin d’être remis en cause, sauf circonstances hors du contrôle des parties, telle la force majeure.
Il en est de même pour les PPA.
La stabilité des coûts énergétiques, une réduction de la dépendance aux combustibles fossiles, et une image positive en matière de durabilité bénéficieront aux acheteurs.
Revenu stable à long terme, financement de nouveaux projets, et stimulation de la croissance du secteur des énergies renouvelables pourront profiter aux producteurs.
En fonction de vos besoins, que vous soyez entreprise acheteuse ou producteur d’énergie, vous pouvez capitaliser sur la flexibilité et l’adaptabilité contractuelle nécessaires au développement des énergies renouvelables.